Numérique / Territoires

Le Très haut débit, c'est parti, mais les bases seront à revoir Juin 2010

Le mouvement vers le Très haut débit s’accélère. Le Premier ministre vient de lancer le programme national pour le Très haut débit, sur des bases très voisines du texte soumis à consultation publique en janvier. L’ARCEP a publié vendredi (11 juin) son projet de décision sur la mutualisation des réseaux hors zone très dense. Et un nouveau département, la Savoie, vient de décider, le 14 juin, de lancer un vaste projet de fibre : il représente, pour la seule première phase, 50% du département et 130 millions d’euros.

Le gouvernement dégage deux milliards d’euros, ce qui aidera grandement au démarrage, et la mobilisation des collectivités sur le sujet ne faiblit pas, avec déjà 29 projets correspondant à 1.650.000 prises en fibre optique. Ces investissements signifient des choix forts dans un moment où l’argent public est compté. La raison est simple : il s’agit d’un sujet majeur d’aménagement du territoire.

Pour les opérateurs, l’intérêt d’un engagement paraît moins évident : pourquoi investir massivement dans plusieurs nouveaux réseaux concurrents, qui n’offrent pas de claire perspective de rapporter plus que celui unique, ouvert à tous les opérateurs, qui existe aujourd’hui ? D’un côté des certitudes : le marché du Haut débit est très rentable et les parts de marché sont stables ; de l’autre, une série d’inconnues sur les coûts de déploiement, d’exploitation, de mutation des abonnés du cuivre vers la fibre et l’ouverture d’un nouveau jeu concurrentiel.

C’est bien là que réside le paradoxe de certains choix des pouvoirs publics, qui tentent de subordonner l’initiative publique à la logique des opérateurs privés. Il faudra ainsi que les collectivités scindent leurs projets pour tenir compte des intentions de déploiement des opérateurs, afin de bénéficier des subsides du programme national. On a vu sur bien d’autres dossiers (déploiement de la 2G, de la 3G…) qu’il y avait loin des engagements à la réalisation ; une simple manifestation d’intérêt d’opérateurs privés sur la fibre, sans aucun engagement contraignant, risque ainsi d’entraver des projets de déploiement publics qui pourraient organiser une péréquation sur leur territoire, entre zones plus ou moins rentables.

Si ces entraves existent, il n’est pas interdit d’avancer : fort heureusement, les attaques judiciaires contre le projet emblématique des Hauts-de-Seine sont en passe d’échouer. Mais il ne sera pas possible d’effectuer les mêmes péréquations sur des territoires plus difficiles, faisant appel aux fonds de l’Etat.

Il faut le dire sans ambages : les objectifs fixés en février par le Président de la République ne seront pas atteints avec ce modèle donnant une priorité au secteur privé. Il y a moins de deux ans, le Plan France Numérique 2012 ne prévoyait pas la nécessité de mettre un milliard d’euros d’argent public sur la table pour dynamiser les opérateurs sur les zones rentables afin de "faire de la France un des leaders en matière de Très haut débit". D’autres changements s’imposeront bientôt.

Une autre forme de mutualisation est possible, à travers un réseau neutre, ouvert à tous les opérateurs de manière équitable et transparente, portée par des investisseurs majoritairement publics, axés sur le long terme, et avec un objectif de couverture des territoires. Une dynamique d’offres de services innovantes peut s’y articuler, sans la barrière à l’entrée de milliards d’euros d’investissements comme aujourd’hui. Nous y viendrons nécessairement. Le plus tôt serait le mieux.

Paris, le 15 juin 2010

Yves ROME

Président de l’AVICCA