Numérique / Territoires

Très haut débit : le Sénat enrichit la boite à outils, mais on bricole toujours Juillet 2009

Le Sénat a adopté en première lecture un texte qui ajoute de nouveaux outils pour aller vers le très haut débit : sociétés à capitaux publics éventuellement minoritaires, fonds d'aménagement numérique des territoires, incitations à établir des schémas directeurs, pouvoirs renforcés de l'Arcep pour assurer "une couverture homogène" des zones desservies etc.

On ne peut que se féliciter de disposer d'outils supplémentaires par rapport à ce défi considérable : construire un nouveau réseau pour couvrir le territoire afin de répondre aux besoins des prochaines décennies. Mais il manque encore la vision globale et les moyens que les associations de collectivités (AMF, ADF, ARF, AVICCA) ont réclamé encore récemment.

Le Japon, la Corée, l'Australie, la Nouvelle Zélande, ou plus près de nous l'Allemagne et l'Angleterre se sont fixés des objectifs précis, pour les années à venir. Les associations de collectivités françaises ont proposé un objectif de généralisation de la fibre à un horizon de dix ans. Rien de ce type n'a été décidé, car il faudrait aussi mettre en face les moyens correspondants.

Ainsi le fonds créé est une réelle avancée, mais il n'est alimenté par aucune recette nouvelle pour le budget de l'Etat. Avec les déficits publics et le niveau d'endettement, la bataille sera rude pour que les 10 milliards d'euros nécessaires soient réunis (voir étude sur le très haut débit). Le Ministre chargé de l'aménagement du territoire a néanmoins affirmé que la seule dépense qu'il soutiendrait pour utiliser le grand emprunt à ce titre serait "la construction d'un réseau de fibre optique sur l'ensemble du territoire".

Il est aussi significatif que le texte adopté demande à l'Arcep - et non au gouvernement - un rapport "proposant une stratégie d'augmentation de (ce) débit dans les territoires" et de la possibilité de "réutiliser ces investissements dans le cadre d'une couverture ultérieure de ces territoires en lignes de communications électroniques à très haut débit". En l'absence d'une vision nationale pour passer au très haut débit, il y a bien une inquiétude de se tromper de cible en cherchant à répondre massivement à une demande, légitime, de monter en débit sur les réseaux existants.

A défaut de vision globale, la boite à outils se remplit donc. Les opérateurs doivent mutualiser les parties terminales des réseaux, ils peuvent co-investir entre eux, ou avec la Caisse des Dépots, sans les collectivités. Les collectivités peuvent utiliser des marchés de travaux, des DSP ou des PPP pour établir des réseaux ouverts. Elles pouvaient créer des SEM ordinaires intervenant dans le champ du 1425-1 du CGCT, elles pourront participer à la création de société dans un régime voisin du 1425-1 sans y être majoritaires...

Il serait ainsi possible à une collectivité aimant particulièrement le bricolage, de lancer une DSP à laquelle répondrait une société, au capital de laquelle cette collectivité serait présente et dont l'autre actionnaire pourrait être un consortium formé de la CDC, d'opérateurs alternatifs et d'investisseurs de long terme, société qui établirait un réseau dont la partie terminale serait partagée avec un autre opérateur historique suivant des règles établies par l'Arcep...

La multiplication des montages peut être utile pour voir ce qui peut bien marcher et convenir aux acteurs principaux, quitte à amplifier les premiers résultats ensuite. Elle peut aussi être source de confusion et de paralysie, vu les intérêts antagonistes que l'on voit déjà à l'oeuvre sur les zones les plus rentables. L'utilisation du L.1425-1 du CGCT a déclenché 2,6 milliards d'investissements publics et privés (voir l'observatoire des réseaux ouverts d'initiative publique). Elle a fait émerger de nouveaux acteurs, les opérateurs d'opérateurs, et le bilan de cette action a été jugé positif par l'Arcep. Qu'en sera-t-il des sociétés à participation publique minoritaire ou des consortiums privés ?

La fibre optique dans les zones non rentables, même en co-investissement de tous les opérateurs privés, représente 15 millions de prises environ et un investissement de 30 milliards d'euros, dont 10 de subventions. C'est en tout cas ce chantier qu'il faut ouvrir, avec les moyens adéquats.