Ecrémage maximum des zones rentables et péréquation nationale a minima Juin 2011
Le Ministre chargé des communications électroniques est intervenu le 9 juin sur le Très haut débit. Il s’agissait, avant tout, de défendre la voie choisie dans le Programme national, au moment où les interrogations se multiplient sur son efficacité. A noter tout de même une nouvelle offensive pour faire entériner le partage des rôles entre le public et le privé, et peut-être accentuer l’emprise de l’Etat sur les collectivités, via des « instances régionales de concertation ». Quant au Président de l’ARCEP, il persiste et signe sur une version minimale du Fonds d’Aménagement Numérique du Territoire, au motif que les collectivités peuvent prendre sur le budget des routes. Les multiples interrogations soulevées par ces déclarations ne vont pas aider les collectivités à se mobiliser.
De nouvelles instances régionales : accélération ou retardement des projets ?
Après les annonces du 27 avril qui réservaient les aides à des projets à l’échelle au moins départementale, c’est l’échelon régional qui est mobilisé par le gouvernement. « Je vous annonce la création d’enceintes régionales d’aménagement numérique. Les services déconcentrés de l’Etat : directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et chargés de mission TIC auprès des préfets seront mobilisés dans ces enceintes pour accompagner les collectivités territoriales sur trois points :
- l’élaboration de leurs schémas d’aménagement numérique ;
- l’articulation entre investissements publics et privés ;
- la conformité avec le programme national très haut débit. Cela marque l’engagement de l’Etat aux côtés des collectivités dans un effort commun d’aménagement du territoire. »
On peut craindre que « l’accompagnement » des collectivités se traduise par une pression pour faire entériner les déclarations des opérateurs, et une tutelle sur les SDTAN. Rien n’est précisé sur la gouvernance de cette instance : préfet de Région ? Co-pilotage avec le Président du Conseil régional ? L’Etat assume moins de la moitié du financement public (de 33 à 45%), mais veut-il se positionner en pilote, considérant les collectivités comme ses services déconcentrés ? Si c’est le cas, les blocages politiques vont se multiplier… Rappelons simplement que la loi a confié aux collectivités l’élaboration de leurs SDTAN, et aussi que la plupart d’entre eux sont à l’échelon départemental.
Repousser l’intervention des collectivités pour réserver les zones rentables aux opérateurs ?
Le Ministre a donné sa lecture des obligations européennes : « Je sais que de nombreuses collectivités s’interrogent sur la réalité des engagements des opérateurs et sur l’articulation entre les réseaux des opérateurs et les réseaux d’initiative publique. Les lignes directrices de la Commission européenne fixent un cadre clair, que nous devrons respecter et qui offre des marges non ambiguës d’intervention publique
- durant les trois premières années, c’est-à-dire jusqu’en 2014, les réseaux d’initiative publique, subventionnés par des collectivités publiques, devront se concentrer sur les zones de carence de l’investissement privé. La priorité sera ainsi donnée à l’investissement privé comme cela avait été le cas pour le haut débit.
- après 2014, les collectivités pourront déployer des réseaux sur l’ensemble des communes qui ne seraient pas encore équipées. »
En fait, les lignes directrices de la Commission sur les aides d’Etat donnent beaucoup de marges de manœuvre. Il est par exemple possible à une collectivité d’intervenir en « investisseur avisé » (sans subvention) dans une zone rentable. Mais il est aussi possible d’englober des zones rentables dans une projet plus vaste, en agissant dans le cadre d’un Service d’Intérêt Economique Général (service public) : « Pour se conformer à sa mission de couverture universelle, un fournisseur de SIEG aura peut-être à déployer une infrastructure de réseau non seulement dans les zones non rentables mais également dans les zones rentables, c'est-à-dire les zones dans lesquelles d'autres opérateurs ont peut-être déjà déployé leur propre infrastructure de réseau ou envisagent de le faire dans un proche avenir. Toutefois, dans un tel cas, en raison des spécificités du secteur de la large bande, une compensation éventuelle ne devrait couvrir que les coûts de déploiement d'une infrastructure dans les zones non rentables. »
Le gouvernement a précisé, à plusieurs reprises, qu’il n’aiderait pas un projet de projet intégré, qui utiliserait cette possibilité ouverte pourtant par les autorités européennes. Mais paradoxalement, en décidant que, de toute façon, il n’aiderait pas du tout les projets portés par des villes ou des intercommunalités, mais seulement l’échelle au moins départementale, il pourrait pousser certaines d’entre elles à se lancer pour éviter les trous de câblage, s’assurer des délais et des priorités. Tant qu’à être privé d’aides de l’Etat, autant organiser une péréquation locale !
Un scénario établi par l’Etat et jugé « pas acceptable » ?
« Les opérateurs se sont engagés à couvrir 57 % de la population en fibre optique dans les dix prochaines années. Cela représente un rythme moyen d’un million de logements par an. Le gouvernement portera la plus grande attention à la réalisation de ces engagements. Un scénario dans lequel les collectivités doivent tenir compte des annonces des opérateurs, mais où les opérateurs ne déploient pas les réseaux annoncés, n’est pas acceptable. »
Cette fermeté de ton paraît un peu étrange si l’on relève que ce « scénario dans lequel les collectivités doivent tenir compte des annonces des opérateurs» est écrit… par l’Etat ! Quant aux déclarations des opérateurs, elles concernent 15 millions de foyers, soit 1,5 millions par an, et non un million… Et le fait qu’ils en ont rendu raccordables moins de 300 000 l’an dernier, n’empêche pas l’Etat de considérer que ces déclarations sont « crédibles ».
Certaines libertés ont été prises avec la réalité. Il est ainsi affirmé que « Aujourd’hui 95 % des lignes de fibre optique ont été installées par des opérateurs privés, 5 % par des réseaux d’initiative publique. Ces 5 % l’ont été dans des zones qui n’auraient pas été rentables pour un investisseur privé. ». Quid des RIP de Pau, de la première couronne parisienne (Sipperec), de Cherbourg, Saint Lô, Gravelines, de la périphérie de Chartres, etc. ? Sans parler du plus gros : les Hauts-de-Seine !
Une version minimaliste du Fonds d’Aménagement Numérique du Territoire ?
Le Président de l’ARCEP maintient le chiffre de 200 millions d’euros par an pour le FANT, alors que le rapport Maurey tablait sur 640. Avec ce premier montant, les collectivités territoriales porteraient la majeure partie de la charge. Si les réseaux THD étaient leur seul investissement à réaliser, ce ne serait pas un problème, mais c’est bien l’ensemble des défis auxquels les collectivités sont confrontées qui sont à prendre en considération : transports collectifs, réchauffement climatique, logement, mises aux normes d’accessibilité des bâtiments, entretien du patrimoine, transfert de charges non compensés…
Laisser les opérateurs écrémer la zone rentable, cela pourrait à la limite être compréhensible si la charge qui en résulte pour s'occuper du reste était compensée par une péréquation principalement nationale. Mais l'ensemble des deux est difficile à admettre pour les collectivités.
A noter qu’une partie du discours prononcé, ironisant sur le fait qu’on construisait des routes depuis les romains, n’a pas été publiée. Pas la peine d’en rajouter après les radars, sans doute !