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Dégâts sur les réseaux de fibres optiques : le raisonnement atypique de l’Arcep Juillet 2023

L'Arcep a publié ce jour son observatoire trimestriel de la qualité des raccordements FttH. Loin d'apaiser un contexte déjà explosif, l'Autorité joue avec le feu et arrive à l'effet contraire, ce qui n'est pas sans susciter nombre d'agacements, dont ceux de l'Avicca.

Un raisonnement complètement atypique

Imaginez des casseurs qui brûlent régulièrement des dizaines de véhicules. Imaginez la gendarmerie qui, plutôt que de chercher à identifier les casseurs et leurs motivations, s'intéresserait en priorité à la solidité des voitures et à leur résistance au feu. Imaginez les enquêteurs qui demanderaient leur avis aux seuls casseurs plutôt qu'aux victimes. Imaginez un rapport de police qui, in fine, conduirait à pointer du doigt les marques et modèles d'automobiles jugées trop fragiles aux coups et trop sensibles au feu et les élus des villes où interviennent ces dégradations en "trop" grand nombre. Imaginez un rapport d'enquête qui s'arrêterait à ce seul constat et demanderait aux seuls constructeurs automobiles et élus de rendre des comptes. C'est peu ou prou ce que vient de faire le gendarme des télécoms, l'Arcep, s'agissant des dégradations constatées depuis 2017 sur la quasi-totalité des réseaux de fibre optique en France.

En s'intéressant aux seuls réseaux les plus dégradés par le mode STOC (mais pas au mode STOC lui-même), le Régulateur dédouane et conforte les 4 opérateurs commerciaux dans leur approche entêtée des raccordements FttH : nier la réalité, ne rien changer autrement qu'à reculons ou à doses homéopathiques, et continuer à agiter un nouveau leurre en stigmatisant des infrastructures supposées atypiques (rebaptisées "accidentogènes").

 

Les réseaux mal construits existent, mais quel rapport avec les dégradations ?

C'est peut-être ce qu'il y a de plus désespérant dans l'attitude de nos autorités. Évidemment, il existe des réseaux mal construits, l'Arcep elle-même l'a démontré au travers de son enquête administrative à l'encontre de SFR/XP Fibre. Quant à certains réseaux anciens construits par Tutor, leurs nombreuses imperfections sont connues de longue date. Mais même dans ce cas, ce n'est pas parce que les réseaux sont de mauvaise qualité qu'ils sont dégradés. Ils sont dégradés parce que des techniciens non formés interviennent et, comme ils y rencontrent plus de difficultés qu'ailleurs du fait de leur mauvaise construction, les saccagent encore plus rapidement. De fait, rien ne justifie de se servir de ce constat de mauvaise construction pour expliquer leur dégradation... sauf à reconnaître un "droit" aux OC à démolir les réseaux supposés mal construits.

Les réseaux -mêmes les mieux construits- sont tout autant dégradés par les 4 opérateurs commerciaux qui recourent au mode STOC. Simplement, ces réseaux étant plus robustes, ils résistent mieux aux assauts des techniciens sous qualifiés de ces opérateurs. 

Enfin, certains réseaux pointés du doigt par l'Etat se sont révélés après audit parfaitement construits. Il en va ainsi, par exemple, de l'infrastructure de la Haute-Savoie. Pas de problème de dimensionnement, pas de problèmes de routes optiques, architecture conforme... et même des points de mutualisation le plus souvent en "dur", dans des shelters supposés bien moins fragiles que les armoires de rue. Là encore, une seule explication : le mode STOC, mis en oeuvre par les 4 OCEN.

 

Reprise des réseaux ou reprise du mode STOC ?

Les réseaux dégradés par les raccordements FttH doivent être repris. C'est une évidence. De même, les réseaux mal construits doivent être mis à niveau. Mais ce qui ne semble pas évident à certains, c'est que sans reprise de la mise en oeuvre du mode STOC, l'exercice est vain car les équipements rénovés sont aussitôt dégradés, parfois avant même leur remise en service ! Or il est possible de faire des raccordements en mode STOC sans détruire les réseaux. Au moins 3 RIP, exploités par 3 opérateurs d'infrastructures différents, en attestent : les dégradations y sont rares au point de pouvoir être qualifiées d'exceptions qui confirment la règle. Plus que le mode STOC, c'est donc bien sa mise en oeuvre qui pose souci.  Il convient donc de l'encadrer plus rigoureusement et non pas de prôner l'autorégulation du secteur que l'on attend depuis 2017...

Or là encore, l'observatoire de l'Arcep pêche, du moins par omission. Par exemple, l'Autorité indique -à juste titre- qu'elle suit le sujet depuis 2019. Elle rappelle la première feuille de route des opérateurs en mars 2020 ainsi que le plan d'action de novembre 2021. Pour autant, à aucun moment elle ne livre un bilan de ces premières actions.  Et pour cause : aucun des objectifs et délais n'a été respecté. Pire, durant cette période, la situation s'est dégradée au point de conduire à un troisième volet d'actions en 2022 (le troisième en trois ans...). Cet énième "Plan" Qualité, arraché dans la douleur aux OC comporte bien des avancées dont toutes les échéances ont été, une fois encore, dépassées, ce que ne précise pas l'observatoire. Lequel passe en plus sous silence la qualité des comptes-rendus d'intervention.

L'observatoire passe également sous silence l'adéquation des engagements du Plan qualité avec l'objectif visé. Ainsi, avoir des techniciens compétents et bien formés aux règles de l'art et de la sécurité est essentiel. S'il n'est jamais trop tard pour bien faire, il aurait fallu que les OC aient ce souci premier depuis 2017. Pour remplir ces critères de qualité, les OC se contentent d'une auto labellisation. Concrètement, chaque entreprise et chaque autoentrepreneur coche les cases d'une grille de compétences attendues. C'est du pur déclaratif, sans contrôle. Aucune comparaison possible avec un véritable label ou une certification, attribuée en principe par un organisme public national ou international, ou par délégation, par des organismes accrédités, dans le cadre d'une procédure réglementaire impartiale et dans un but d'intérêt général. Il existe en parallèle une multitude de pseudo-labels, ou pseudo-certifications, le plus souvent auto-décernés par le fabricant ou le distributeur lui-même, sans le contrôle d'une tierce partie indépendante qui vérifie que les critères sont satisfaits. Sans surprises donc, les techniciens qui intervenaient hier et dégradaient les réseaux sont les mêmes qui interviennent aujourd'hui, mais ils seront "auto-labellisés"...
 

L'Arcep est pavée de bonnes intentions

Objectiver les dégâts du mode STOC est une attente forte des collectivités. En publiant cet observatoire, il n'est pas exclu que l'Arcep ait voulu, une fois de plus, bien faire. Mais en se contentant des seules remontées d'informations des opérateurs commerciaux qui sont ceux-là mêmes qui dégradent la plupart des réseaux en mettant en oeuvre les raccordements à la fibre optique en mode STOC, l'Arcep passe à côté de l'objectif. Pire, malgré les mises en garde réitérées depuis des années par les collectivités et certains opérateurs d'infrastructures, l'Autorité se limite à publier les seuls indicateurs d'échecs de raccordements et de taux de pannes.

Une fois de plus, l'Avicca répète que ces taux d'échecs de raccordement sont certainement le pire indicateur qui puisse attester du problème des raccordements en mode STOC. Un raccordement "réussi" au regard du logiciel d'un opérateur commercial signifie juste un lien optique qui fonctionne (au début du moins). Peu importe si, pour se faire, le technicien a coupé 10 autres clients, a à moitié détruit l'armoire, posé la jarretière n'importe comment, remis le PBO sans l'avoir refermé au fond de la chambre ou sur le poteau, et bien évidemment posé le câble et le boitier de raccordement en dépit de tout début de commencement de bon sens. Bien sûr, le tout sans respecter la moindre règle de sécurité. Peu importe aux OC, du moment que l'épave roule encore... Et ne parlons même pas du taux de pannes puisque les OI n'en sont pas toujours informés, sauf une fois que l'OC croit (à raison ou à tort) que l'origine du problème n'est pas chez lui mais chez l'OI. Vous pouvez avoir été coupé 15 fois dans l'année, si l'OC n'a pas déclaré la panne à l'OI, vous ne serez jamais considéré comme étant en panne, donc vous n'apparaîtrez pas dans l'observatoire Arcep... 

Au contraire de son objectif annoncé de faire bouger les lignes sur la qualité des raccordements FttH, intention des plus louables, l'Arcep contribue par le présent observatoire, et malgré toutes les précautions prises par le Régulateur pour expliciter les cartes et graphiques, à diffuser dans les esprits que lorsqu'il y a un problème, une panne, une dégradation, c'est que le réseau a été mal construit. C'est tout bonnement inacceptable !