Numérique / Territoires

TRIP de printemps 2023 - Faut-il imposer la mutualisation ? Septembre 2023

La question posée au TRIP de printemps 2023 a permis aux intervenants de revenir sur les structures de mutualisation en place, parfois depuis des décennies, sur leur légitimité technique et fonctionnelle acquise sur le terrain mais aussi leur fragilité juridique d’intervention.

1.    Qui sont les structures de mutualisation du numérique ? Que font-elles ? Sous quelle forme ?

Ces structures interviennent sous diverses formes juridiques : syndicats mixtes,  agences techniques départementales (ATD), centres de gestion de la fonction publique territoriale, associations ou encore Groupements d'Intérêt Public (GIP) à l’échelle régionale.

La plupart mutualisent principalement les métiers suivants :

  • les délégués à la protection des données, compétence arrivée sur le tard mais qui a porté la croissance des structures de mutualisation en s’imposant aux collectivités (obligation réglementaire) ;
  • les responsables de la cyber-sécurité, sujet qui monte en puissance et est accompagné par l’ANSSI, Cybermalveillance.gouv.fr, les CSIRT et les campus régionaux;
  • et enfin les fonctions historiques dématérialisées, soit le triptyque comptabilité, paie et élections pour les plus petites communes. 

D’autres prestations sont proposées de manière moins systématique par ces structures : l’hébergement numérique mutualisé, les services informatiques divers (mail, site web conforme au RGAA), la sobriété numérique, les DSI mutualisées, l’inclusion, l’open data, le numérique pour l’école, la vidéoprotection, etc. 

2.    Une légitimité fonctionnelle acquise

Lorsqu'un OPSN est en place sur un territoire, sa légitimité opérationnelle est acquise.

La légitimité est avant tout technique et professionnelle : les offres de services sont proposées collectivité par collectivité, dans un esprit d’offre de services mais surtout d’accompagnement par des ressources humaines qui connaissent les métiers et les contraintes du terrain. Les structures de mutualisation répondent aux besoins de nouvelles compétences dans les collectivités qui n’ont ni les moyens techniques ou financiers, ni les ressources humaines pour y faire face. Chaque OPSN propose une offre au plus près des besoins de son territoire.

Historiquement, lorsqu'il a été nécessaire de numériser les échanges (contrôle de légalité administratif et budgétaire) entre les collectivités et l'État, les services des finances publiques et les préfectures ont trouvé dans les OPSN des compétences pour accompagner les plus petites collectivités. Les métiers les plus récents que sont l’application du RGPD ou encore la mise en place de la cybersécurité, pour laquelle des solutions accessibles font défaut, renforcent cette légitimité.

Dans plusieurs régions, cette légitimité s’appuie  sur la volonté conjointe de la préfecture et de la Région de mettre en place un GIP pour accompagner les communes et plusieurs modèles d’organisation de GIP coexistent : une offre à la carte ou un accord sur des services de base pour l'ensemble des Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) du territoire concerné.

Les OPSN pallient clairement à une organisation territoriale qui a omis que les usages numériques des collectivités nécessitent de mutualiser : l’Europe sort ses directives, l’État ses projets, ses dates butoirs, ses nouveaux formats d’échanges et chacun considère que l’intendance communale doit suivre. Les OPSN sont là pour relayer les projets, les règlements à destination des collectivités mais aussi pour remonter vers l’État ce qui ne fonctionne pas sur le terrain, pour essayer d’apporter de la cohérence là où l’État intervient de manière trop descendante et centralisée. 

3.    Une légitimité juridique instable

Lors d’opérations de contrôles, il est toujours rappelé que le numérique n’est pas une compétence et que juridiquement les relations entre l’OPSN et la commune s’appuient sur une base contractuelle. En effet, si la compétence pour les réseaux de télécommunication est codifiée dans le CGCT et juridiquement fiable, l’informatique, ou le numérique au sens large, est un moyen et non une compétence. Si c’est un moyen tout le monde peut en faire et donc comment légitime-t-on légalement son activité d’opérateur de mutualisation ?

  1. En faisant comme s’il y avait une compétence : par exemple, le numérique pour l’éducation fait partie d’une compétence plus large qui est l’éducation. La collectivité délibère pour transférer un petit bout de sa compétence. Cela est vrai par exemple pour le numérique pour l’éducation ou encore la vidéo-surveillance bâtimentaire.
  2. En utilisant le mode de marché « in-house » qui présente des limites connues.
  3. En recourant à une convention qui respecte le plafond de 40 000 euros. Il faut alors travailler par secteur d'activité, ce qui entraîne la mise en place d'une structure administrative lourde.

Le risque sur le terrain est parfois que la structure de mutualisation soit vue comme un prestataire et donc challengée uniquement  sur ses prix et non comme un opérateur de confiance. Il faut alors expliquer que les structures de mutualisation sont constituées de collègues fonctionnaires et qu’elles sont là pour accompagner dans la durée.

Par ailleurs, certaines offres de services demandent des ajustements réglementaires. Ainsi, la mutualisation de la vidéoprotection a entraîné une adaptation des textes du pouvoir de police du Maire, même si la mise en application technique et juridique demeure complexe. Autre exemple, la transposition de la directive NIS2 aux collectivités, mission pour laquelle l’ANSSI devra s’appuyer sur des structures de mutualisation demandera en amont de stabiliser la relation contractuelle entre l'OPSN et la municipalité lorsque l’OPSN assurera une part de responsabilité en matière de cybersécurité.

4. Quelles cohabitations avec le secteur privé ? Quel modèle économique ?

Les intervenants ont évoqué plusieurs angles pour répondre à cette question :

  1. La structure de mutualisation peut agir en conseil, en expertise, élaborer le cahier des charges, voire mener des actions lorsqu’il n’y a pas de prestataires. Vis-à-vis de l’écosystème privé local, il est souhaitable d’être dans la logique de conseils, notamment parce qu’il faut faire vivre et porter une grande attention aux acteurs économiques du territoire avec lesquels il faut nouer des partenariats pour que l’ensemble de l’écosystème évolue.
  2. Lorsque l’OPSN sélectionne, négocie puis achète un service pour le compte de ses adhérents, il organise une offre de services pour la rendre compréhensible et accessible. Le développement des usages des outils numériques demande de la stabilité et aujourd’hui, les règles de la commande publique ne permettent pas de stabiliser ces usages. La construction, le déploiement et l’accompagnement à l’usage de services numériques sont coûteux même si l’achat de licence ou le recours à des logiciels libres permet parfois de contourner cette difficulté. De même, le déploiement d’infrastructures d’hébergement de données est un projet de long terme. Une amélioration des textes permettant d’inscrire l’action des syndicats dans une durée plus longue compte tenu de la nature des investissements permettraient d’améliorer le service et de sécuriser les investissements.
  3. Il pourrait également être utile de faire évoluer l’offre, que ce soit en matière de datacenter publics ou de solutions logiciels, vers une offre tournée vers des investissements communs ou encore vers la création de communs numériques. Sur certains domaines, comme la cybersécurité, les modèles économiques privés ne sont pas accessibles aux petites collectivités. Il faut impérativement trouver d’autres modèles technico-économiques.
  4. Il a été rappelé que le quotidien d’un OPSN est l’accompagnement sur le terrain : l’OPSN vend une prestation, un logiciel et son déploiement, mais l’essentiel demeure l’accompagnement, soit le temps passé auprès des secrétaires de mairie et autres agents pour que l’outil soit vraiment utilisé. L’OPSN est donc une sorte d’entreprise publique et doit trouver un équilibre financier. Or comment trouver cette équilibre lorsque le coût du service apporté aux petites collectivités ne couvre pas les frais. La présence d’une ou plusieurs collectivités de taille suffisante pour générer des économies d’échelles qui profiteront également aux plus petites peut s’avérer impératif.

5. Quels sujets d’actions pour demain ?

Le plus facile a été fait. Ce qui reste à faire n’est pas le plus simple. Ceci dit, des actions structurantes comme :

  • le sujet de l’optimisation, notamment énergétique, des infrastructures de transport, des bâtiments des territoires en les connectant est un métier de demain.  Cela entraîne des questions de gestion et d’exploitation des données. Néanmoins, la vision et donc la commande politique de ce qui s’appelait avant la Smart city n’est pas encore claire. Or il faut une demande politique explicite pour enclencher les investissements de base et arbitrer sur les fonds nécessaires. Le prix du premier capteur est exorbitant et pour le financer il est faut une volonté politique et des collectivités pionnières.
  • le sujet de l’e-santé, bien que cela ne soit pas leur domaine de compétence, intéresse les collectivités. Des projets pilotes notamment avec des cabines de téléconsultation sont lancés. Améliorer l’accès à la santé et à l’éducation via les outils numérique sont des sujets sur lesquels il faut absolument investir pour l’avenir.

6. Quelles propositions pour avancer ?

L’article L.1425-1 du CGCT confie la compétence du déploiement des réseaux aux collectivités et  les alinéas 2 ou 3 précisent la possibilité de faire des schémas d’usages mais ne vont pas plus loin.

Or les collectivités font face à des injonctions contradictoires d’organisation entre elles, de mise en cohérence des projets, d’arrêt du mille feuilles, du chacun fait la même chose dans son coin, d’optimisation et de recherches d’économie budgétaires, etc. versus un blocage juridique des voies contractuelles qui ne sont pas bonnes. Faut-il en sortir par du in-house, un mode industriel et commercial, un système de budget annexe ? Peut-on imaginer des DSP usages ou des contrats d’intégration d’usages sachant que le préalable de la reconnaissance de cette compétence doit être réglée ? Conviendrait-il d’étendre les portées dès l’alinéa 2 ou l’alinéa 3 du L 1425, est-ce une solution ?

Il faut que cette organisation soit légitime juridiquement dans le temps afin que les positions des organismes de contrôles (CRC, contrôle de légalité, trésoreries) soient elles-mêmes stables dans le temps et sur le territoire. La mutualisation existe depuis 50 ans mais s’appuie sur des personnels détachés, contractuels voire sous prestation de services, des contextes de fiscalité hybride, du hackage du système pour faire « entrer des ronds dans des carrés ». Pour qu’elle s’impose et se développe, il faudrait mieux l’évaluer, afin entre autre de l’améliorer.

Le programme TNT (transformation numérique des territoires, ex DCANT) au sein de la DINUM (direction interministérielle au numérique) doit être plus connu car c’est un endroit où se retrouvent les associations de collectivités actives et où siègent l’État, la DINUM, l’ANCT et des représentants des différents ministères et où les sujets en commun sont évoqués. Des groupes projets travaillent sur la formation des élus au numérique, sur l’accessibilité, sur la sobriété, sur la cybersécurité, les données, etc.

Ceci dit, il conviendrait que les politiques, y compris à Bruxelles, puissent s’accorder pour faciliter le travail des structures de mutualisation, seules sur place à assurer une forme de péréquation dans les territoires.

Les intervenants à la table ronde :

  • Morgan Hervé, Directeur général - Syndicat Mixte Haute-Garonne Numérique
  • Olivier Jouin, Directeur - GIP RECIA
  • Laurent Rochette, Directeur général - Syndicat Mixte Seine et Yvelines Numérique
  • Emmanuel Vivé, Président - Declic Association