Numérique / Territoires

TRIP automne 2023 - Discours d'ouverture du colloque par Patrick Chaize, Président de l'Avicca Novembre 2023

Monsieur le Ministre,

Cher Jean-Noël,

Un grand merci tout d'abord pour votre présence, votre écoute continue et pour la qualité de nos échanges.

Si j'en crois la Presse du jour, vous allez pouvoir vous rassurer ou en tout cas nous partager les négociations que vous avez menées ces dernières semaines.

Notre assemblée, est, croyez-le, impatiente.

Je veux aussi, Monsieur le Ministre, vous remercier d'avoir réservé à l'Avicca, assemblée des territoires, cette primeur.

Mesdames, Messieurs les parlementaires, chers collègues

Mesdames et Messieurs les élu(e)s des collectivités membres de l’Avicca que je remercie chaleureusement une nouvelle fois de m’avoir renouvelé leur confiance en me réélisant pour la quatrième fois Président de notre belle et forte association d’élus,

Je veux aussi en profiter pour féliciter tous les collègues qui ont été renouvelés ou ont été élus ce matin.

Je remercie aussi les candidats malheureux et nos anciens collègues qui ont fait le choix de ne pas se représenter.

Une pensée aussi bien sûr aux agents de l'Avicca qui ont préparé ce colloque.

Mesdames et messieurs les responsables d’entreprises, opérateurs et partenaires,

Mesdames et Messieurs,

 

La Présidente de l’Arcep, Laure de la Raudière, a ouvert la conférence des territoires connectés le 26 septembre dernier en disant, je cite : « Le premier sujet de préoccupation des élus, c’est sans doute celui des problèmes de qualité des raccordements et des dégradations des réseaux fibres. Je le dis - sans enthousiasme - car j’aurai pu reprendre l’intervention que j’ai faite l’année dernière à Territoires connectés. »

Monsieur le Ministre, sur ce sujet comme sur d’autres, c’est mon discours d’investiture d’il y a 3 ans que j’aurais pu reprendre : j’y parlais déjà de la qualité des réseaux FttH déployés et du mode STOC qui les mettait à mal, des appuis communs toujours aussi complexes et coûteux à utiliser, des raccordables soi-disant à la demande et qui sont en fait des non raccordables, etc.

J’y parlais aussi de façon quasi prophétique de la généralisation de la fibre.

Pardonnez-moi de me citer in extenso : « C’était notre credo depuis des années, c’est désormais celui de l’État, qui vise le 100% FttH pour 2025. Comment ne pas être rempli d’optimisme ? Il convient toutefois de raison garder. Il n’est jamais loin du capitole à la roche tarpéienne. Le 100% FttH demande un dernier effort d’investissement considérable pour l’État, les collectivités et leurs partenaires privés. »

Que peut-on en dire 3 ans après ? Avec le plan de relance, l’État et les collectivités ont fait leur part.

On attend encore et toujours pour certains partenaires privés, mais l’objectif politique reste bien la généralisation de la fibre, l’intendance suivra.

Hors de question de changer une nouvelle fois les règles du jeu à 10 mn de la fin du match !

J’ai vraiment l’impression, en voyant ce que devient notre secteur, d’être sur la planète des Shadoks.

Je ne pense bien évidemment pas au lieu d’initiation et de sensibilisation au numérique responsable, ouvert dès avril 2015 par Strasbourg et l’Eurométropole.

Non, j’en appelle bien à ces drôles d’oiseaux de la série d’animation, créée à la fin des années 60 par Jacques Rouxel pour l’ORTF.

Ces dingues du non-sens avaient une logique bien à eux et à eux seuls.

Leur projet de construire des machines toutes plus improbables les unes que les autres, n’est pas sans rappeler l’invention du mode STOC…

Ce qu’il en reste aujourd’hui, outre la voix très reconnaissable de Claude Piéplu, ce sont quelques proverbes propres à ces échassiers rondouillards. Leurs aphorismes parodient certains de nos principes.

Ils semblent parfois coller à notre écosystème des télécommunications.

 

Ainsi de cet aphorisme Shadok que l’on peut attribuer à la qualité des réseaux. « En essayant continuellement, on finit par réussir… Donc plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. ».

Car côté raccordements, rien n'a changé en un an ni en quatre ni en huit.

Les conflits locaux avec les prestataires des opérateurs se multiplient. Et lorsque je disais que les élus locaux étaient à portée de baffes, c’était hier une image.

Aujourd’hui hélas, c’est une réalité. Une adjointe au maire de Rueil-Malmaison a récemment été placée sous protection fonctionnelle par la Ville suite à des agressions verbales, physiques, cyberharcèlement et usurpation d’identité (rien que ça !) au sujet de l’accessibilité à la fibre et d’une armoire fibre située au 66 avenue du Mont Valérien !

Pourtant, les opérateurs commerciaux continuent d'affirmer haut et fort que les problèmes ne concernent que « 0,15% » ou « moins de 3% » ou encore « quelques % » des raccordements, selon leurs différentes réalités alternatives.

Dans le monde réel, pas un habitant n'est passé au travers des problèmes ou ne connaît pas quelqu'un dans son entourage qui ait vécu (ou vit encore) une galère avec son raccordement à la fibre optique.

Nous n’avons pas le bon thermomètre disais-je encore récemment.

En fait, pour mesurer les hautes pressions sur nos réseaux FttH et les dépressions qui guettent nombre de nos concitoyens, nous avons peut-être plutôt besoin, si vous me permettez Monsieur le ministre, d’un « Barrot mètre » que d’un thermomètre pour prendre les bonnes mesures.

Et nous avons surtout besoin d’une loi plutôt qu’un quatrième plan en 4 ans.

La proposition de loi sur la qualité des raccordements FttH doit passer maintenant devant l’Assemblée nationale. Le reste n'est que perte de temps.

A moins que nous ne préférions tous continuer à vivre comme les Shadoks dans un monde de non-sens ?

 

Autre débat en mode « GA-BU-ZO-MEU » des Shadoks : la complétude FttH, est-ce du 100% FttH ou bien de la généralisation de la fibre ou encore de la fibre pour tous ?

En 2010 et 2011, la préemption des zones les plus rentables du territoire par Orange et SFR s’était accompagnée de la promesse de rendre la zone AMII entièrement raccordable à la fibre à l'horizon 2020.

En 2018, moyennant 2 ans de délais supplémentaires, le 100% FttH devenait opposable.

Pour le moment, je constate que c’est le L33-13 a surtout été opposé, en vain, à l’Arcep !

Beaucoup plus récemment, avec les AMEL en 2019, l’engagement de financer du 100% FttH sur fonds à 100% privés c’est étendu à des zones bien moins rentables que les zones AMII.

Et voilà que nous entendons tous depuis plusieurs semaines la petite musique de l'impossibilité d'atteindre le 100% FttH.

S’il s’agit bien d’aller « au maximum de la fibre », nous serions déjà – je cite Orange – « à la fin des déploiements », avec 88% de complétude... Les 2 millions de foyers et professionnels concernés pour la seule zone AMII apprécieront !

Car pendant ce temps, les RIP comptent déjà 23 zones départementales intégralement - ou presque - raccordables au FttH, contre 7 seulement en zone d'initiative privée.

Une nouvelle fracture numérique se dessine, qui a l'étrange particularité d'avoir des zones rurales mieux couvertes que les zones urbaines, comme c'est déjà le cas dans 31 départements.

 

Un autre sophisme de la planète Shadok pourrait s’appliquer au financement des réseaux : « S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème » 

L’exploitation de nos réseaux publics sera déficitaire si nous devons continuer à vendre nos prises FttH au même prix que celles situées dans les zones les plus rentables du territoire et que les opérateurs privés se sont appropriés.

Il y a un problème, mais il y a une solution : la péréquation !

Une table-ronde animée par la FNCCR – une première pour un TRIP – se tiendra demain après-midi pour faire le point sur ce sujet qui doit enfin trouver sa traduction dans le PLF 2024.

Il y a urgence Monsieur le Ministre !

D’ailleurs, je m’étonne toujours de la difficulté de trouver des ressources pour, d’un côté, financer les conséquences du partage par l’État du territoire français entre zones privées rentables et zones publiques déficitaires ; et de l’autre, la facilité qu’ont certains pour imaginer subventionner avec de l’argent public les carences des déploiements FttH privés avec des solutions palliatives à partir de 2024.

Un comble déjà en soi, mais qui atteint un sommet lorsque l’on voit comment l’État résume la position des opérateurs privés qui ont répondu à sa consultation sur l’extension du guichet cohésion numérique.

Ainsi, ces opérateurs courraient je cite « Le risque de devoir surdimensionner le réseau et ainsi de devoir consentir des investissements supplémentaires ».

Donc oui aux subventions de l’État pour palier leurs carences mais sans aucun surcoût pour eux en contrepartie !!!

Au moins me direz-vous, cela a le mérite d’être clair.

Je ne vois vraiment pas comment il serait possible de persister dans cette voie…

 

« Pour qu’il y ait le moins de mécontents possible, il faut toujours taper sur les mêmes », revendiquaient les Shadoks.

La Cour des Comptes dans son rapport sur la gestion de l’Arcep, publié début octobre, note que l’Autorité n’a mis en demeure que deux fois s’agissant des réseaux fixes et mobiles et n’a pas sanctionné les opérateurs (sauf Free sur un sujet mobile dans les Antilles, et encore, au bout de 46 mois de procédure).

En revanche, l’Arcep a sanctionné 3 fois s’agissant de la distribution de la presse alors que c’est une compétence récente.

La Cour des comptes recommande donc d’accroître dans le domaine des réseaux fixes le recours à la mise en demeure des opérateurs en amont des échéances de leurs engagements. Elle ajoute la recommandation de « mettre en œuvre un suivi renforcé des plans de remise en état du réseau fixe, avec de strictes échéances ».

Je précise que je n’ai pas été interrogé par la Cour des Comptes, mais que j’aurais fait exactement les mêmes recommandations !

 

S’agissant de l’impact environnemental du numérique, avec la loi REEN, nous avons évité le « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». Il fallait attendre l’Europe m’avait-on expliqué, une telle initiative n’ayant aucune chance d’aboutir sinon.

Et bien au final, c’est maintenant l’Europe qui reprend à son compte ce sujet et en fait un cheval de bataille.

Il ne faut jamais avoir peur d’être précurseur. Jamais ! Et il ne faut pas non plus que l’Europe bloque d’autres initiatives numériques locales et urgentes, à commencer par la loi SREN. 

 

Et pour finir : « la plus grande maladie du cerveau c’est de réfléchir », selon les Shadoks. Mais nous ne sommes pas des oiseaux bêtes et méchants.

Les Shadoks ont pour contraire les Gibis, qui, par pitié, aident les Shadoks. Les Gibis partagent leurs découvertes, ils collaborent et raisonnent pour construire ensemble.

C’est par exemple ce qui, je crois, a accompagné depuis le plan de relance l’inclusion numérique et a conduit à la feuille de route « France numérique ensemble ». Une belle alliance Monsieur le Ministre !

C’est cette attitude constructive, allant dans le sens de l’intérêt général, que nous, représentants des collectivités et acteurs de la transformation numérique des territoires, réunis pendant ces deux jours, voulons montrer aux côtés de l’État, du Régulateur et des acteurs privés volontaires.

C’est aussi le sens du travail que nous avons entrepris avec InfraNum pour rédiger à deux mains la feuille de route pour une France Numérique à l’échéance de 2030. Nos travaux seront publiés très prochainement, notamment après examen de ce Plan par le Conseil d’administration de l’Avicca qui a été renouvelé ce matin.

Avant de conclure, je souhaite adresser un petit mot de soutien à nos collègues des départements touchés par les tempêtes. Ces événements nous rappellent combien les réseaux de communication sont indispensables et qu'il devient urgent de mettre en œuvre des solutions résilientes.

Je vous souhaite un bon colloque TRIP d’automne, en arrêtant de pomper inutilement et en choisissant résolument le camp du progrès, de la coopération, et de l’entraide !