Numérique / Territoires

La mutualisation des réseaux en fibre optique n'est pas une usine à gaz Juin 2009

L'Arcep a publié son projet de décision sur la mutualisation des réseaux dans les zones "très denses". Sans surprise, le mécanisme de "fibres surnuméraires" dans les immeubles a été adopté. Il a pour objectif de permettre à chacun des trois grands acteurs de maîtriser de bout en bout son réseau, en respectant les architectures différentes. Sont visées les zones où il semble économiquement possible que chacun de ces trois opérateurs construise un réseau en propre jusqu'à l'intérieur des immeubles, zone estimée à 5,16 millions de foyers par l'Arcep. Une liste de 148 communes, comprises dans les zones urbaines de plus de 250.000 habitants, est proposée par l'Arcep.

Des règles à concrétiser et définir encore

Dans ces 148 communes, le point de mutualisation est en général à l'intérieur de l'immeuble. Mais comme chacun des trois grands fournisseurs d'accès à internet aura sans doute sa fibre, il n'y mutualisera pas grand chose, si ce n'est pour de nouveaux entrants ou un opérateur pour les entreprises.

Le principe de la fibre surnuméraire semble simple : quand un opérateur veut fibrer un immeuble, les autres peuvent demander de leur poser une fibre en plus, en participant au financement. Mais dans le détail, c'est un peu plus compliqué. En particulier, la règle doit encore se décliner dans les immeubles de moins de douze logements, ce qui représente quand même une proportion de 40 % en moyenne sur ces zones "très denses", et bien plus encore pour des villes comme Marseille. On n'ose imaginer comment la règle sera déclinée dans une rue qui alternera des immeubles de plus de douze et de moins de douze logements...

Raffinement supplémentaire, les opérateurs pourraient faire évoluer leurs demandes de pose de fibres surnuméraire au gré du temps. Il est suggéré que chaque année, ils puissent interrompre leurs demandes, ou que d'autres opérateurs puissent se manifester.

A noter que dans une même intercommunalité (communauté urbaine ou d'agglomération), certaines communes sont classées par l'Arcep comme zones très denses (avec deux sous-ensembles, suivant qu'il y a plus ou moins de douze logements), ou "non très dense", avec donc des réglementations différentes. Cerise sur le gâteau : la liste des communes très dense sera évolutive.

Enfin, il faut insister sur le fait que si l'Arcep définit une règle générale, elle doit se traduire dans des accords particuliers entre les opérateurs pour devenir fonctionnelle. La divergence de leurs intérêts stratégiques ne va pas faciliter cette phase.

La règle proposée par l'Arcep convient bien à Free, et elle est acceptable par SFR, surtout parce qu'elle ne conforte pas France Télécom, qui souhaitait fragmenter le réseau en pied d'immeubles. Elle pose aussi un problème majeur à Numericable : préfinancer une fibre ne lui sert à rien dans l'immédiat et grève son endettement déjà majeur ; et ne pas en disposer à terme plombe une revente car il faudra bien passer au FTTH un jour ou l'autre.

Sans surprise, il n'y a aucune obligation de couverture de ces zones dites "très denses". Or elles comportent toutes des poches non denses, c'est à dire non rentables pour des déploiements de chaque opérateur. Attention, futures zones urbaines blanches !

Zones non très denses et impact sur les réseaux d'initiative publique

L'Arcep a lancé également la réflexion dans les zones "non très denses". Le point de mutualisation sera à l'extérieur des bâtiments, ainsi que prévu par la LME. Qui va découper les "plaques" ? Seront-elles jointives ? Y aura-t-il une obligation de couvrir tous les bâtiments d'une plaque ? De réaliser toutes les plaques d'une commune ? Comment concilier la construction d'une plaque par un seul opérateur avec la construction du réseau d'immeuble, où chaque propriétaire d'immeuble doit faire jouer son propre choix ? Y aura-t-il un co-investissement sur la partie mutualisée ? Comment implanter des dizaines d'armoires de rue sécurisées sur le domaine public ? Autant de questions qui vont entraîner une règle encore plus complexe sur cette partie... qui correspond à 80% des logements en France.

Les obligations de co-investissements, en immeuble pour les zones très denses, ou éventuellement sur les plaques ailleurs, interrogent beaucoup le modèle des réseaux d'initiative publique. Si les grands opérateurs co-investissent sur un réseau public, d'un côté ils diminuent l'investissement nécessaire, mais de l'autre ils ne sont plus clients de ce réseau public...

Concurrence et cohérence

Tout ceci va sans doute faciliter la rédaction de l'arrêté ministériel sur les obligations de fibrage des immeubles neufs, qui concerne les permis de construire de 2010 !

L'Arcep a un rôle presque impossible : comment garder une dynamique à l'investissement, avec des architectures diverses, pour aboutir à un réseau pas trop incohérent ? La concurrence par les infrastructures est le dogme européen, encore aujourd'hui, et le régulateur s'inscrit dans ce schéma. Cet ensemble de règles devrait permettre qu'aucun opérateur ne puisse verrouiller le marché du très haut débit. Par contre il est incertain pour créer une dynamique hors zones très rentables, et ne donne aucune garantie de couverture du territoire.

Au total, la comparaison avec une usine à gaz paraît foncièrement injuste. Dans une usine à gaz, il n'y a qu'un seul maître d'ouvrage. Là, c'est pire !