Numérique / Territoires

FttH en zone privée : les opérateurs vont-ils aussi échouer à la session de rattrapage de 2022 ? Janvier 2023

La réponse est "Oui" !

Bien que nous ne disposions pas encore des statistiques Arcep pour le dernier trimestre 2022, cette prévision de début d'année 2023 est, hélas, certaine de se réaliser. On ne remet pas en route en un claquement de doigts une "usine" de déploiement de fibre optique désormais quasiment à l'arrêt. Toutes les alertes lancées depuis 2010 par l'Avicca se sont malheureusement vérifiées. D'ailleurs cela fait désormais un moment que plus aucun opérateur ne nous accuse, comme par le passé, de procès d'intention.

Oui, en 2010 et 2011, les OI privés se sont bien contentés de préempter les zones les plus rentables du territoire national, sans jamais avoir eu le début de commencement de volonté de terminer ces zones. Deux fois oui car l'Etat a non seulement laissé faire ces opérateurs mais les a même encouragés en leur accordant (sans contrepartie) dès 2011 des délais de préemption plus longs que ceux exigés par la réglementation européenne (10 ans contre 3 seulement normalement).  Trois fois oui puisque la puissance publique a même persisté dans son "erreur" en leur accordant dès 2018 deux années supplémentaires via les tristement célèbres "engagements" (!) L33-13, voire en les poussant via les AMEL à préempter des zones rurales pourtant notoirement peu ou pas rentables...

Pendant des années, confortés par l'assurance que l'Etat maintiendrait les collectivités à l'écart des zones ainsi préemptées, les opérateurs n'ont ainsi quasiment rien déployé sur les zones AMII :

  • début 2014, il y avait plus de prises déployées en zone RIP qu'en zone AMII,
  • ce n'est qu'à partir de fin 2016 que les déploiements privés ont commencé : il y a eu autant de prises déployées au T4 2016 que de 2011 à 2014,
  • aucune des différentes échéances de l'AMII 2011 et des engagements L33-13 de 2018 n'a été respectée :

Dans le détail, en zone très dense, Orange est toujours le seul opérateur à (trop peu) déployer. Idem en zone AMII, même s'il est vrai que SFR/XP fibre a moins de retard que l'opérateur historique. Quant à la zone AMEL, si SFR XP Fibre reste toujours en "tête" des rares déploiements, notons que pour le 5ème trimestre consécutif, Altitude déploie toujours un peu plus de prises qu'Orange alors qu'il en a deux fois moins en objectif cible...

Au global, la situation des zones privées départementales évolue peu : il n'y en a toujours que 5 de raccordables à plus de 95% (dont 3 en Île-de-France), et seule l'Eure-et-Loir connaît un dynamisme assez fort (+ 6%) pour espérer rejoindre ce club très fermé lorsque l'on disposera des statistiques complètes pour 2022.

Remarquons cependant le dynamisme des déploiements privés en Guadeloupe (+10%), dans la Nièvre (+9%), les Landes (+7%) et les Hautes-Alpes (+6%).

 

Et maintenant, que faire ?

Si le résultat de ces 12 dernières années de laisser-aller est sans surprise, il convient de se demander maintenant quelles sont les solutions pour arriver à couvrir chaque foyer et entreprise de la zone d'initiative privée.

  • Procédure de sanction par l'Arcep ?

On le sait, l'Arcep n'utilise son pouvoir de sanction qu'avec la plus grande parcimonie. Pour autant, les opérateurs qui ont souscrit librement, sans aucune contrainte, des engagements sanctionnables sont les premiers à pousser des cris d'orfraie dès que l'Autorité veut agir, et ce même lorsque le non-respect des engagements est flagrant. Une menace de QPC ou de recours devant le Conseil d'Etat n'est pas à prendre à la légère, l'Arcep ayant déjà perdu son pouvoir de sanction par le passé, suite à une action de SFR/Altice.

Le Régulateur doit malgré tout aller au bout de cette démarche, ne serait-ce que par respect pour les Françaises et Français qui se retrouvent, bien malgré eux, non raccordés à la fibre dans une commune confiée - sans qu'ils aient eu leur mot à dire - à un acteur privé.

De même, le Régulateur doit, au-delà du suivi des engagements L33-13, s'attaquer avec force au strict respect de la réglementation de complétude de déploiement des ZAPM (zone arrière des points de mutualisation, c'est-à-dire du maillage des communes en armoires de rue et de leur zone de desserte). Les opérateurs ont 5 ans au maximum pour assurer la complétude des déploiements. Or cela fait justement 5 ans que l'Avicca réclame avec insistance la mise en opendata des informations sur les ZAPM (date de mise à disposition et niveau de complétude actuel), sans être entendue, à date, par l'Arcep. Sans ces informations, impossible de savoir si les opérateurs d'infrastructures respectent ou non la réglementation et, en cas de non-respect, impossible donc de demander à l'Arcep les procédures de sanction mises (ou non) en œuvre.

Enfin, on rappelera que l'Arcep n'a aucun pouvoir de coercition en zone très dense, ainsi que dans les zones où les opérateurs n'ont pas déployé de points de mutualisation dans des communes qui ne sont pas concernées par des engagements L33-13.

 

  • Déclassification par l'Etat de certaines zones d'initative privée pour les confier aux collectivités ?

Cette solution est réclamée notamment par des collectivités qui avaient un projet de déploiement FttH en propre et qui ont dû l'arrêter sous pression de l'Etat, lequel a donné la priorité aux opérateurs privés. Si cette solution est aussi légitime que logique, elle paraît cependant illusoire. Depuis 12 ans maintenant, les gouvernements successifs ont tous donné sans hésiter la priorité absolue aux initiatives et demandes des opérateurs.

Certes, il y a bien eu une exception en 2016, lorsque l'Etat avait constaté la défaillance de SFR sur les communes de la métropole lilloise, mais avant d'envisager de revenir à une solution passant par un RIP, l'Etat avait préalablement consulté d'autres opérateurs privés et c'est Covage qui a l'époque s'était imposé (avant d'être racheté par la suite par SFR...).

L'Avicca se demande si, au regard des échecs passés répétés, l'Etat arrivera à upgrader son logiciel en la matière, et privilégiera enfin l'initiative publique...

 

  • S'appuyer sur la fermeture du cuivre ?

C'est peut-être l'option qui peut sembler la plus sûre, à date, car la réglementation interdit de fermer le cuivre sur une commune qui n'est pas intégralement couverte en FttH, quel que soit le zonage dont elle relève (donc y compris la zone très dense).

Certes, cette exigence de fermeture devra être adaptée à la réalité des déploiements dans les zones les moins rentables du territoire, celles justement déléguées aux collectivités locales. Mais il faudra également l'adapter, à la marge, aux zones d'initiative privée, du fait des refus de tiers. Si cette exigence est maintenue et adaptée uniquement à la marge, nul doute que cela motivera les OI privés et surtout le premier d'entre eux, Orange, à achever les déploiements. Car la fermeture du cuivre est inéluctable, et maintenir 2 réseaux en simultané deviendra de plus en plus difficile et coûteux, avec le temps.

Option la plus sûre, peut-être, mais la plus acceptable, certainement pas. Car le vrai problème de cette "solution" est qu'elle repousse théoriquement jusqu'en 2030 le fibrage de communes qui devaient initialement l'être pour 2020 au plus tard. L'Etat et l'Arcep peuvent-ils tolérer que les zones les plus rentables du territoire soient fibrées en 20 ans quand l'initiative publique a démontré qu'il était possible de fibrer en 4 à 5 ans des zones départementales très rurales comme par exemple celles de la Loire, de l'Aisne ou de la Corrèze ?