Fibre optique : régulation, mutualisation et liberté de choix du consommateur Décembre 2006
Le gouvernement français a fait connaître sa position sur le réexamen des directives européennes sur les communications électroniques. Il y précise sa position sur une éventuelle régulation, en demandant que le sujet du très haut débit soit directement abordé dans ce réexamen, ce qui n'est pas explicitement le cas aujourd'hui.
Tout d'abord, "il faut favoriser l'engagement de plusieurs opérateurs dans cette nouvelle génération de réseaux, de manière à favoriser le partage du risque et mutualiser les coûts des travaux en génie civil".
Ensuite, la régulation ne serait nécessaire que si "de nouvelles situations de monopoles apparaissaient". Et dans ce cas, il faudrait assurer "une juste rémunération aux investisseurs, prenant effectivement en compte le risque consenti". Autrement dit, s'il y a orientation vers les coûts, il faudrait tenir compte des coûts du risque, en termes de rémunération du capital par exemple.
A noter que le gouvernement n'évoque à aucun moment le rôle des collectivités dans sa réponse à Bruxelles
Pour la régulation sectorielle en général, le gouverment plaide pour examiner "sur quelles infrastructures critiques devrait se concentrer la régulation (notion de goulots
d'étranglement) ? ". Cette position semble rejoindre celle de l'Arcep qui plaide pour une régulation des fourreaux de France Telecom, qui éviterait d'avoir à réguler la fibre.
Il faut s'interroger sur la notion de "situations de monopoles", au pluriel, évoqués par le gouvernement. La mesure numéro trois du "plan" pour le très haut débit du Ministère de l'Industrie s'intitule : "permettre une approche locale (différenciant les zones) lors de l'analyse des marchés relatifs au très haut débit". Il s'agirait d'éviter la constitution de monopoles locaux d'un opérateur ayant déployé une infrastructure.
Cette définition semble inapplicable. Une analyse de marché "locale" est difficile, voire impossible à mener pour l'Arcep. Les outils nécessaires à ces études n'existent pas, et les possiblités de recours sont énormes. En effet, au nom de quoi la taille du maillage "local" peut-elle être définie objectivement ? Si un quartier n'est desservi en très haut débit que par le câble, l'autre par France Telecom, et celui d'à côté par Free, y a-t-il une atteinte au droit de la concurrence ? Si l'on raisonne à l'échelle de la ville, de l'agglomération, du département, on aura d'autres partages de marché.
Or cette balkanisation locale est très exactement ce qui est en cours sur les zones ultra-denses où les opérateurs ont décidé du déploiement. Quatre technologies sont utilisées : FTLA pour le câble, PON pour FT, Ethernet point à point pour Free, VDSL pour Erenis. La chasse aux syndics et aux gérants de collectifs sociaux est lancée. Et on imagine mal que deux, trois ou quatre réseaux trouvent une place, physique et économique, dans ces immeubles. Un consommateur se trouvera donc devant un choix réduit, voire un monopole.
On pourrait théoriquement imaginer qu'entre les difficultés opérationnelles et les financements à mobiliser, un seul opérateur émerge de la bataille ; cela reconstitue un monopole national, et on peut le réguler. Le hic de ce scénario, c'est qu'on voit mal l'intérêt de France Telecom à aller dans ce sens, qui détruit la valeur de son réseau cuivre, l'engage dans des investissements massifs de très long terme, avec la perspective d'être à nouveau obligé d'ouvrir son réseau... Et on ne voit pas qui d'autres pourrait le faire.
Le scénario le plus probable est que plusieurs opérateurs co-existent dans les zones très denses, avec un partage local du marché, par bataille d'abord. Ils négocient ensuite entre eux, suivant les rapports de force établis, et on aboutit à un oligopole qu'il sera très difficile de réguler.
Pour éviter ce scénario, il faut une mutualisation effective, en particulier dans les immeubles. Des discussions entre les opérateurs, sous l'égide des pouvoirs publics, peuvent se mettre en place ; mais la bataille sur le terrain est déjà lancée aussi. Une autre solution, c'est bien sûr l'établissement, par les collectivités, de réseaux mutualisés ; les plus grandes villes, premières concernées, ne sont pas encore mobilisées sur cette question et il faut clarifier le cadre européen sur leur capacité à intervenir. Troisième acteur possible, les gérants de grands collectifs, sociaux ou privés ; ils commencent à être interpellés, par les demandes de passage des opérateurs, mais ont une révolution copernicienne à effectuer, en décidant d'établir ces réseaux mutualisés et de les mettre à disposition (payante) des opérateurs.
Rien n'est gagné sur cette mutualisation. Mais elle est le gage de la liberté de choix du consommateur, et sans doute aussi du dynamisme du très haut débit.