Numérique / Territoires

Bilan d'étape WiMAX - Contribution de l'Avicca Juin 2008

Le 30 juin prochain, l'Arcep effectuera un premier contrôle des engagements pris par les opérateurs titulaires d'une licence WiMAX en termes de couverture du territoire. Sans surprise, le résultat sera très loin des objectifs fixés.

Ce retard, classique pour des technologies encore nouvelles et au moment où sont lancés les appels à candidatures, a des raisons qu'il convient d'analyser. Il faut à la fois comprendre l'utilité de cette technologie pour la résorption des zones blanches, et tirer des leçons à moyen et long termes sur la procédure d'attribution suivie, dans la perspective du très haut débit fixe et mobile.

Mais ce retard est aussi synonyme de difficultés pour nos territoires. Force est de constater que ce sont les collectivités qui, devant les problèmes techniques ou les coûts au démarrage plus élevés qu'espéré, se sont le plus impliquées effectivement dans le financement des déploiements : l'engagement vis-à-vis des citoyens pèse plus que les engagements contractés dans une licence.

1. Plusieurs technologies pour couvrir les zones blanches, à utiliser en cohérence

Plusieurs technologies sont aujourd'hui utilisées pour couvrir les zones blanches : WiFi, WiMAX, CPL, satellite, raccourcissement de la ligne cuivre (NRA ZO)...

Il s'agit de zones qui ne sont pas atteintes par les technologies de masse actuelles dans des conditions de marché. Par définition, elles ne bénéficient pas des rapports qualité/prix observés généralement sans une intervention spécifique.

Il n'existe aucune « technologie miracle » pour les zones blanches, bien que chacune ait son heure de gloire médiatique (CPL, satellite...), son éclipse, avant de trouver sa zone de pertinence. Ces technologies ne sont pas totalement « neutres », car elles sont portées par des acteurs différents. Chacune a des limitations intrinsèques (coût, débit, capacité à traiter la totalité des besoins...), et présente une plus ou moins bonne réponse en fonction des caractéristiques du territoire à couvrir (relief, boisement, dispersion des lignes blanches...). L'évolutivité même des besoins en matière de haut débit doit amener à une certaine prudence : aucun traitement n'est complet ni définitif, et tout progrès dans la couverture montre aussi de nouvelles zones d'ombre.

L'étude Tactis/Avicca sur les zones blanches a montré qu'il était important pour l'exploitation :

  • d'éviter le saupoudrage, en choisissant une technologie principale, complétée si nécessaire par d'autres ;
  • de mettre en place une collecte afin de faire baisser les coûts à long terme et de permettre une montée en débits et en disponibilité.

Pour les zones blanches, le WiMAX a comme avantages d'être une véritable technologie d'opérateurs, d'avoir de grands rayons d'action, des perspectives de coûts d'équipements faibles avec une normalisation internationale, des capacités d'utilisation en collecte. Ses inconvénients sont la sensibilité au relief et à la végétation, de se situer, en France, dans une bande de fréquence non optimale avec une bande passante réduite, et de ne pas être encore complètement mature.

2. Le glissement de planning dans les équipements WiMAX

Des retards ont été constatés en 2007 et début 2008, par rapport aux prévisions de montée en charge, aussi bien sur la normalisation que sur la livraison des équipements.

Les équipements à la norme 802.16 d sont normalisés. Les perspectives de déploiements massifs, donc de baisses de coûts, de nomadisme et de meilleure utilisation du spectre sont, pour la plupart des acteurs, en 802.16 e, surtout s'ils visent le nomadisme. Comme annoncé lors du TRIP 2007, la certification y est attendue début 2009 pour le 3,5 GHz.

Plusieurs réseaux se sont déployés en 802.16d en 2006/2007. Les équipementiers ont présenté peu à peu des équipements en .d annoncés comme compatibles avec le .e (« e-ready), avec des pré-séries industrielles, des terminaux in-door puis out-door.

Les choix sont néanmoins difficiles, pour s'assurer d'une parfaite compatibilité, d'équipements interopérables et d'un parc installé le moins hétérogène possible.

La France est l'un des premiers pays à déployer dans la bande 3,5 GHz en 802.16 e. La fabrication industrielle de masse n'est pas engagée, et les équipements, notamment chez les particuliers, encore chers.

De plus, certains équipementiers n'ont pas encore la gamme complète de stations de base disponible, en particulier les mini et micro-stations qui permettent de compléter la couverture.

Il est assez commun, quelles que soient les technologies, de constater des glissements de planning. Il semble que celui du WiMAX se soit stabilisé aujourd'hui.

3. Les limites de la bande 3,5 GHz

Aux Etats-Unis et en Asie, les bandes 2,3 à 2,5 GHz ont été attribuées au WiMAX ; elle présente de meilleures caractéristiques de portée et de pénétration. De plus, s'agissant du premier marché susceptible de décoller, les fabricants de puces et d'équipements, ainsi que les efforts de normalisation, ont porté en premier sur cette bande.

Les effets d'échelle dans la bande 2,5 bénéficieront à la bande 3,5, mais le retard est d'environ un an pour la mise au point.

La portée utile a été revue à la baisse avec les retours d'expérience des premiers déploiements : dix à douze kilomètres pour obtenir du 2 Mbits/s plutôt que les 15 km initialement envisagés.

4. Des perspectives à l'échelle internationale toujours importantes

On peut avoir l'impression d'une réédition du scénario de la « boucle locale radio » des années 2000 : de grandes promesses faites pour couvrir les territoires, et de maigres réalités.

La différence essentielle est la perspective de « massification » des équipements permise par les accords entre industriels, depuis les fabricants de puces jusqu'aux équipementiers, rééditant les succès du WiFi. Il en résulte d'ailleurs des nécessités de certification qui expliquent pour partie les retards constatés.

Les prises de commande des opérateurs au niveau international et la nouvelle alliance aux Etats-Unis (Sprint/Clearwire avec les câblo-opérateurs et Google....), créent une base pour le décollage du WiMAX.

Même si d'autres technologies sont en lice pour le haut débit mobile (LTE, Long Term Evolution), ces perspectives sont encourageantes pour une baisse des coûts et une interopérabilité qui auront des impacts positifs pour les zones blanches et grises.

5. Un frein évident, la très forte concentration des FAI et leurs stratégies

La concentration des fournisseurs d'accès à internet en France a atteint un tel niveau qu'un offreur de gros, sur un marché aussi réduit que celui des zones blanches, est dans un rapport de force extrêmement défavorable pour négocier la mise à disposition de son réseau. Aucun des trois grands FAI n'a signé d'accord de commercialisation.

Les zones blanches de l'Adsl représentent environ 550 000 lignes, soient moins de 300 000 clients potentiels, qui peuvent être desservis par plusieurs technologies (WiFi, WiMAX, NRA ZO et dans une moindre mesure, satellite et CPL). Ce total représente moins de 2 mois de croissance du parc d'abonnés français à l'Adsl et la voix sur IP gagne un million d'abonnés par trimestre. Ceci explique en partie le désintérêt des grands FAI.

Il faut également relever que France Télécom est le principal client potentiel du WiMAX : les abonnés au téléphone sur les lignes blanches de l'Adsl sont déjà ses clients pour l'essentiel. Et sur l'internet en général, l'opérateur historique détient la moitié du marché.

Pour des raisons bien compréhensibles, France Télécom a au contraire mis en place une offre basée sur sa propre boucle locale, avec le principe des NRA ZO. Financée entièrement par les collectivités, cette offre lui promet de surcroît des parts de marchés très importantes, car les opérateurs alternatifs ne dégroupent pas les petits répartiteurs.

Ce sont donc des FAI alternatifs qui ont réalisé l'effort de commercialisation, avec une notoriété moindre, mais une grande habitude de travailler dans les zones blanches.

6. Une procédure non optimale

L'attribution des licences WiMAX visait deux objectifs implicites principaux :

  • contribuer à résorber les zones blanches du haut débit ;
  • ouvrir le jeu sur l'internet et la téléphonie en situation de nomadisme.

Pour cela, deux licences pouvaient être attribuées (en plus de celle existante). La procédure retenue a consisté en une attribution par région, avec un critère correspondant à l'objectif de couverture, et un autre sur l'ouverture de la concurrence. Un troisième critère, sur le montant des licences, immédiatement exigible dès l'attribution, était peut-être destiné à freiner les ardeurs de candidats qui auraient spéculé sur la future valeur du WiMAX. Les trois critères avaient pratiquement le même poids dans la notation.

Le résultat est que le paysage qui en sort n'est pas optimal :

  • le critère financier a changé les résultats sur 12 licences et 9 régions (moins de couverture et/ou moins de concurrence).
  • certains Conseils régionaux, très impliquées dans l'aménagement numérique, n'ont pu bénéficier d'une licence.
  • deux très grandes régions n'ont aucun opérateur ayant comme objectif principal la couverture par une offre de gros neutre (Ile-de-France et PACA).
  • aucun opérateur de détail ne peut lancer seul une offre nationale.

On aurait peut-être pu imaginer deux procédures distinctes ou des critères de notation particuliers pour répondre à ces deux objectifs.

La formulation des engagements pris au titre des licences pose aussi problème. Ils sont comptabilisés globalement au niveau d'une région. Mais si un Conseil général décide de densifier sa couverture, et contractualise avec le titulaire d'une licence, le supplément de sites pourrait venir en déduction des engagements à réaliser sur les autres départements de la même région !

Enfin le pouvoir de sanction de l'Arcep en cas de non-observation des engagements paraît inadapté. L'Arcep dispose certes de « l'arme de dissuasion massive » qui consiste à pouvoir retirer une licence ; mais elle ne semble pas avoir la capacité d'infliger des pénalités en cas de retard, qui obligeraient les opérateurs à être moins attentistes dans leurs déploiements.

7. Un premier déploiement grâce aux financements des collectivités

Le constat du déploiement actuel est assez facile à effectuer :

  • les opérateurs privés (Free, Altitude, SHD, Bolloré, HDRR) n'ont pratiquement pas investi sur leurs fonds propres, en l'absence de financements publics, pour assurer la couverture du territoire et sont très loin de leurs engagements. HDRR, qui semblait le plus en pointe sur la question en visant principalement le marché des zones blanches, a fait marche arrière ;
  • les déploiements effectués ou en cours sont le fait des collectivités et de leurs partenaires, principalement à l'échelle des départements. Ils résultent parfois de procédures spécifiques sur les zones blanches, et souvent de projets plus globaux (collecte, desserte des zones d'activité et des services publics en très haut débit, extension du dégroupage...).

Ce constat montre que les glissements de calendrier du côté des équipementiers, que l'on ne peut nier, n'expliquent pas tout. Les opérateurs privés attendent la décroissance des coûts pour se déployer, apparemment sans crainte de sanctions de l'Arcep. Les collectivités, elles, supportent les surcoûts pour répondre à une demande de plus en plus pressante des citoyens, des services publics et des entreprises.

A noter que le revirement d'un partenaire privé peut déstabiliser un réseau d'initiative publique en l'absence de possibilités de sanctions contractuelles.

8. L'importance de licences détenues par collectivités

Pour la première fois, les collectivités pouvaient participer à la compétition, et ce à l'échelon régional. Seules 6 Régions ont pu obtenir une licence.

Dans de très nombreux cas, ce sont les collectivités départementales qui portent la maîtrise d'ouvrage de l'aménagement numérique.

L'affectation aux Régions a sans doute permis plus de cohérence, mais a engendré des délais supplémentaires pour transférer les licences aux Départements. Contrairement aux opérateurs privés, les collectivités ont des obligations de procédures longues, qui expliquent des délais de mise en œuvre importants ; les réseaux d'initiative publique ouverts en WiMAX sont souvent des délégations de service publique « anciennes » qui avaient une composante WiMAX.

La concertation entre les Régions a permis de ne pas se lancer dans un enchérissement des licences, puisqu'elles ont pris position pour un montant symbolique d'un euro.

Là où la Région bénéficiait d'une licence, plusieurs candidats pouvaient répondre à la procédure d'une collectivité avec cette licence, donc avec une compétition ouverte.

Là où seuls les opérateurs privés bénéficiaient d'une licence, les candidats se limitaient aux titulaires dans la région concernée. Sachant que la plupart des opérateurs privés ne répondaient pas aux procédures (Free, Bolloré à une exception près, SHD), la compétition était très limitée, voire inexistante. De surcroît, les collectivités ont en général eu le sentiment de repayer le montant de la licence, à l'opérateur, donc à l'Etat.

9. Les aléas du WiMAX sont à remettre dans une perspective de moyen terme

La conjugaison de l'urgence une couverture rapide du territoire en haut débit, et de la progressivité de la montée en charge de la technologie, a produit ici et là des frictions et des déceptions.

Les éléments de constat permettent de penser que le WiMAX reste une des technologies utiles pour la couverture du territoire à moyen terme, pour les zones blanches, mais aussi pour les zones grises avec les perspectives de baisse des coûts.

En premier lieu l'ARCEP doit être ferme pour que les retards de déploiement constatés soient résorbés. Les délais particuliers imposés aux collectivités (procédures publiques, cessions aux départements) doivent être pris en compte par l'Arcep pour l'appréciation de la tenue des engagements.

Des regroupements ou cessions de licences permettront peut-être de faire émerger plus de cohérence pour les acteurs privés. Si une licence n'est pas utilisée sur un département, elle devrait pouvoir être mise à disposition au cas où la collectivité correspondante en a besoin pour son aménagement numérique.

Il apparaît nécessaire d'essayer d'élargir la bande utile disponible, ce qui est envisageable notamment avec la libération progressive de la bande par les utilisations audiovisuelles.

10. Tirer les leçons dans la perspective du « dividende numérique » et du très haut débit

Le bilan est à débattre et approfondir, mais il est indispensable à dresser pour préparer les prochaines évolutions ; les besoins en débits, montant et descendant, ne cessent d'augmenter.

Pour l'Avicca :

  • un large dividende numérique affecté aux communications électroniques, avec des « fréquences en or », de meilleure portée et avec une pénétration facilitée dans les bâtiments, est indispensable ;
  • il faudrait étudier l'utilisation possible d'autres bandes, comme la 2,5 GHz ;
  • il y aura des arbitrages à faire entre une utilisation pour la couverture du territoire en palliatif au haut débit fixe, et en mobile ;
  • la taille réelle de la bande passante sera très importante, surtout pour mettre en place une solution palliative au fixe, compte tenu du développement des usages ;
  • les procédures d'attribution doivent être concertées, compte tenu de leur impact sur la couverture réelle de tous les territoires ;
  • les engagements de couverture doivent être précis, formulés avec une faible granularité, et sanctionnés en cas de retards.

Certains éléments de ce bilan ont conduit l'Avicca à formuler des propositions d'amendements à l'article 30 du projet de Loi sur la Modernisation de l'Economie qui introduit une procédure d'enchères pour l'attribution des licences.

Ce texte est extrait des présentations et débats du Colloque TRIP 2008.