Numérique / Territoires

Volet technique : tour de piste et voies d’accélération Août 2018

Pose en aérien, élagage pour les réseaux télécoms, montée en débit, tensions sur l’approvisionnement en fibre optique, risques sur le guichet cohésion numérique… Après les projets et l’attribution des marchés des RIP vient le temps du déploiement, et avec lui son lot de difficultés. Travailler ensemble à trouver rapidement des solutions opérationnelles « est une condition sine qua non pour respecter les échéances », a rappelé l’AVICCA en ouverture de la table ronde consacrée à des cas concrets. Lors du TRIP de printemps 2018, deux syndicats mixtes numériques (dans le Berry et en Seine-et-Marne) ont partagé leurs retours terrains. Enedis, la Mission Très Haut Débit et le FttH Council européen ont tracé des pistes d’améliorations en cours de mise en oeuvre.

L’aérien en manque d’appui 

« A un moment, il faudra juste acter que ce n’est pas un branchement de fibre optique sur un poteau électrique qui va le faire tomber », a lancé Pascal Bourdillon, un rien provocateur. Le directeur du syndicat mixte Berry Numérique a fait part de son retour d’expérience à propos de la pose en aérien sur les infrastructures d’Orange et sur celles d’Enedis.  

Chez Orange, le déploiement en aérien fonctionne plutôt bien, pour deux raisons. Premièrement, il y a assez peu de poteaux à changer. Deuxièmement, quand on n’a pas le droit de poser sur un poteau Orange, on le change et le processus de changement qui pouvait être laborieux auparavant est devenu aujourd’hui plus simple. Reste le problème de l’élagage qui n’est pas du tout fait sur le réseau téléphonique.

En revanche, chez Enedis, la réutilisation des appuis aérien fonctionne  mal en raison de deux difficultés majeures. La première réside dans le processus d’études préalables qui reste lourd (en formalisme et en logiciel de calculs) et très pénalisant. Seconde difficulté, une fois que l’étude est faite, le taux d’échec moyen reste autour de 30%. Et Berry numérique d’illustrer les aberrations difficiles à corriger au niveau local parce qu’il n’y a pas de prise de décision au niveau national, faute d’une réelle expertise terrain. Les solutions évoquées lors de groupes de travail en juin 2017 restent encore peu opérationnelles, un an après : pas d’engagement calendaire, pas de communication nationale, un guide élaboré sans les opérateurs…

Le directeur du syndicat mixte a également abordé d’autres handicaps : 

  • la modélisation SIG (GraceTHD devrait relever du niveau national), 
  • les délais d’approvisionnement en fibre passé de 12 semaines à 12 mois malgré le recours à quatre fournisseurs, la capacité des grands opérateurs à préempter leurs commandes,  
  • les écarts de discours entre l’Etat et ses services au niveau local, 
  • le problème du contrôle de légalité sur les marchés de conception réalisation,
  • la lecture des contrats et des DSP…

Enedis en action pour le THD

« Avec 12 millions de poteaux, notre réseau est une formidable opportunité́ pour permettre de développer la fibre », a répondu Gérard Auriol. Le directeur délégué Ouest d’Enedis, en charge du dossier du THD au niveau national, a décrit les engagements qui ont été́ pris récemment par Enedis, suite à une rencontre entre Philippe Monloubou, Président du directoire d’Enedis, et le Secrétaire d’État Julien Denormandie, afin de réduire les délais et de rendre ce mode de pose opérationnel (a priori dès septembre 2018). Simplification des études, labellisation et accompagnement des bureaux d’études pour améliorer la qualité des calculs, passage d’un contrôle a priori à un contrôle a postériori pour les bureaux labellisés afin de réduire les délais, innovation technologique (pinces fusibles, logiciel Camélia COMAC…), harmonisation nationale des processus, et meilleur dialogue avec les acteurs sont les six engagements pris. Avec cependant « deux lignes rouges » pour Enedis : la sécurité et la question du financement (ARCEP et CRE se sont entendus pour ne pas permettre les financements croisés entre les réseaux télécoms et ceux de l’énergie). Il reste en outre un manque de visibilité, de son point de vue, pour mener cette opération : « les écarts de prévision entre le début de l’année et la réalisation dans les territoires peuvent varier dans un rapport de 1 à 10 (10 fois moins que ce qui a été́ annoncé) et nous avons des difficultés à organiser nos équipes pour pouvoir répondre efficacement à cette demande », a-t-il souligné.

Montée en débit : la tension financière monte aussi

« Dans le cadre de l’offre PRM MeD, la montée en débit est un puits sans fond non financé », a ajouté Dominique Leroy. Le DGS du syndicat mixte Seine-et-Marne Numérique a fait une première analyse d’impact de la V6 (la dernière version de l’offre PRM sortie en mars), notamment sur la supposée compensation des coûts liés à l’énergie. En projection sur les 4 500 PRM MeD en France, et sur 10 ans de contrat, « cela représente 45 millions d’euros d’argent des collectivités ».

A propos des tensions sur l’approvisionnement en fibre, il a précisé: « sur les prises 2018, nous avons des annulations de commandes fermes qui étaient passées dans le cadre d’allocations faites l’année dernière auprès d’un câblier... ». Pour faire ces prises, c’est un jonglage permanent, puisque les autres câbliers ne peuvent pas compenser. Et il y a de réelles implications en termes de respect des plannings et de relations avec le fermier ou l’acteur privé. Il faudrait peut-être que les collectivités mutualisent au lieu d’avancer en ordre dispersé, chacun sur leurs territoires. Patrick Chaize (président de l’AVICCA) et Sylvain Valayer (directeur d’ADN) ont proposé la création d’un véhicule (GIP ou grossiste) pour répondre à cette problématique d’approvisionnement.

Autre sujet, le THD radio puisque Seine-et-Marne Numérique dispose d’un réseau WiMAX qui remonte au début des années 2000. Il a été décidé de le moderniser pour y déployer la technologie TDD-LTE. Problème, à l’occasion de la conférence du Plan (9 avril dernier), et un peu avant au travers de la note technique qui avait été́ diffusée, le volet e-inclusion, sur lequel était fondé le financement de ce réseau, a disparu au profit d’un nouveau mécanisme de guichet de cohésion numérique. Ce dernier vise à apporter 150 euros aux FAI, sans contrepartie, alors que le syndicat mixte avait imposé à son délégataire des zones de couverture ciblée sur les 142 communes qui ne vont pas disposer du FttH immédiatement. Le syndicat risque de se retrouver sans la perception d’un montant de l’ordre d’un demi-million d’euros. Dominique Leroy en appelle donc sur ce point à la Mission Très Haut Débit « pour que le sujet soit traité avec intelligence et en tout cas dans le respect des engagements pris par chacun des acteurs, et en particulier les collectivités ».

Tensions sur la filière 

« Nous ne sommes plus sur des problèmes de structuration des projets, même si quelques territoires ont encore besoin de sécuriser les phases finales de leurs déploiements, mais globalement, la très grande majorité́ d’entre vous est en plein dans le concret de la mise en œuvre et aussi et dans la difficulté́ du déploiement. », a reconnu 

Régis Baudoin. Le directeur de la Mission Très haut débit (MTHD) a expliqué que le « sentiment de tension » sur la filière provenait, d’une part, d’une ambition portée au-delà de ce qui était envisagé, il y a encore deux ans. Et d’autre part, d’une accélération des déploiements simultanément dans les zones très denses (et AMII) et sur les RIP. Pour lui, « on ne devrait pas être très loin de 80% de couverture de la zone RIP en FttH en 2022 » (« 80% des locaux commercialisables devraient être raccordables »). 

Résultat : les industriels ont conscience d’une augmentation forte de la demande, mais ne savent pas la quantifier de manière suffisamment précise « pour calibrer le niveau d’investissement supplémentaire qu’ils sont prêts à envisager », a-t-il expliqué en commentant les indicateurs du Sycabel. La question de l’accélération et de l’augmentation de la demande de fibre ne se pose pas pour la première fois sur le territoire français. La production de fibre, et les livraisons de prises sont bien deux courbes étroitement corrélées. Sur ce sujet, la MTHD entend jouer son rôle « d’honnête courtier à la fois de l’information et des données de marché » : à l’horizon 2019-2020, faudra-t-il 20, 25 ou 28 millions de kilomètres (contre 13 l’année dernière) ?

Le directeur de la Mission a ensuite apporté des éléments de réponses concrets et actuels sur les autres sujets abordés :

  • projet de loi ELAN sur l’élagage ;
  • mobilisation des trois ministres de tutelle au titre du numérique et du THD à propos de l’arrêté technique de 2001 sur les appuis aérien ;
  • participation au pilotage et au financement temporaires de GraceTHD mais sans engagement pérenne sur cet outil qui, selon lui, devrait être porté par les industriels ;  
  • interruption des financements de la montée en débit, fin 2018, et renvoi vers une offre PRM V7 sous recommandation de l’Arcep ;
  • articulation entre offres locales et nationales de cohésion numérique pour offrir en 2019 et 2020 une prise en charge partielle des frais d’accès à une solution hertzienne, qu’elle soit en THD radio, en 4G fixe ou en satellite.

« Déployer un réseau n’est pas une chose simple, on découvre au fil de l’eau des problèmes que l’on n’avait pas forcément anticipés et il faut que notre intelligence collective nous permette de sortir des situations les plus difficiles », a su convaincre Régis Baudoin.

Modèle socio-économique européen

« Qu’est-ce qui pourrait soutenir l’investissement fibre ? », s’est alors interrogé Florian Damas. Ce membre du bureau et président de la commission « Fibre business Models » du FttH Council Europe a mis en perspective le déploiement du FttH à l’échelle européenne et abordé plusieurs aspects socio-économiques. 

Pour favoriser les investissements dans le FttH, il faut tout d’abord s’inscrire dans une politique alignée avec ce que souhaite la Commission européenne d’ici 2025, à savoir des offres à 100 Mbit/s qui permettraient facilement de passer à 1 Gbit/s. 

Il convient ensuite de faire évoluer le code règlementaire, en discussion (en trilogue) entre le Conseil, la Commission et le Parlement européens, avec l’objectif de moins de régulation pour les acteurs THD. 

Enfin, cette nouvelle règlementation fait la part belle à de nouveaux moyens d’investissement, dont des solutions de co-investissement (déjà̀ pratiquées en France), mais surtout à des acteurs qui déploient la fibre au niveau de la couche passive et qui vendent cet accès de gros en fibre à tous les acteurs, petits ou gros. « Là où il y a une concurrence par les infrastructures, sur la couche la plus basse du passif, on voit quand même une accélération des investissements et une concurrence accrue », a-t-il constaté.

Quantitativement en Europe, les pays baltes se placent dans les premières positions : Lettonie, Lituanie et Estonie. Viennent ensuite des pays où les collectivités investissent, notamment la Suède (2ème du podium). Par ailleurs, le taux de pénétration en France est de 14,9%, juste au-dessus de la moyenne. Les pays qui ont un bon cadre règlementaire se placent devant, entre autres le Portugal et l’Espagne, ainsi que ceux qui facilitent la pose en aérien, à l’extérieur des façades. 

« Au final, il y a 148 millions de foyers raccordables en FttH et FttB dans les 39 États européens, et le taux de souscription correspond à 51,6 millions d’abonnés » (source étude Idate). La croissance s’accélère depuis 2015, les operateurs historiques se lancent quasiment tous dans le FttH. Le taux de foyers raccordables est passé de 21% à 42%. De nouveaux acteurs apparaissent sur le marché et se positionnent seulement sur la couche passive : Open Fiber en Italie, par exemple, a déjà̀ raccordé 2,5 millions de foyers.

Le FttH Council a, par ailleurs, conduit une étude sur les bénéfices socio-économiques du FttH auprès de 1 018 clients en Suède : plus de 70% de consommateurs ont noté une différence dans le service qui leur était rendu en termes d’accès internet avec la fibre. 62% ont mentionné l’accès à d’autres services : quand une collectivité́ déploie, en général c’est un réseau ouvert et un certain nombre de fournisseurs arrivent pour y proposer leurs services.

Les operateurs alternatifs ont démarré vite mais du fait de l’accélération des telcos historiques, leur part de marché se réduit désormais, de 71% à 54%, y compris pour les collectivités locales.

Outre l’exemple de la Suède, celui de la France, est bien « un cas à part qui intéresse énormément de pays », a-t-il conclu.