Numérique / Territoires

TRIP d'automne 2022 - Discours d'ouverture de Patrick Chaize, président de l'Avicca Novembre 2022

(Retranscription, seul le prononcé fait foi)

 

Monsieur le Ministre, cher Jean-Noël,

Madame la Présidente de l’Arcep, chère Laure,

Mesdames, Messieurs les parlementaires, chers collègues

Mesdames et Messieurs les élu(e)s,

Monsieur le Représentant de l’Autorité de régulation des télécommunications et des Postes du Sénégal,

Mesdames et messieurs les responsables d’entreprises, opérateurs et partenaires,

Mesdames et Messieurs,

Vous tous qui composez, jouez ou écoutez nos musiques numériques favorites.

 

Nous voici à nouveau réunis à l’Institut Pasteur avec un programme plus varié qu’il n’y paraît : le deuxième acte de la stratégie nationale inclusive, les territoires durables et connectés, l’impact environnemental, GraceTHD, mais aussi lors de visioconférences déjà passées ou à venir les usages industriels de la 5G, les territoires ultramarins, la cybersécurité, la viabilité des RIP 2G ou l’étude sur les RIP 3G.

En fond sonore, l’entendez-vous cette drôle de petite musique du FttH pour tous ?

Elle semble de plus en plus être dissonante !

Il faut en tout cas porter un casque antibruit et des œillères pour ne pas l’admettre.

C’est encore et toujours le même refrain, depuis 6 ans, sur la cacophonie des raccordements en fibre optique.

Malgré les tentatives de la filière d’accorder leurs violons, je constate que les dérives qui se cantonnaient au raccordement s’étendent désormais à la desserte.

La mort d’un autoentrepreneur dans le Cantal au mois d’octobre dernier traduit de manière dramatique ces dérives : pas de qualification suffisante, confusion entre un poteau composite et un poteau métallique sous des lignes HT, pas de DR DICT, travail le samedi alors qu’en environnement électrique, Enedis l’interdit (et donc pas de respect de la convention Enedis), le collègue grièvement blessé n’était lui-même pas déclaré…

La cacophonie s’installe, et avec elle la confusion entre notre travail de déploiement de réseaux de qualité et les pratiques déplorables des installateurs sur le terrain mal choisis car mal rémunérés.

Je suis très heureux, d’ailleurs, que Philippe Le Grand, Président d’InfraNum, ait mis sur la table à Toulouse il y a un peu plus d’un mois le sujet de la rémunération des prestations de raccordement.

L’Avicca le dit depuis 2019, c’est maintenant un fait reconnu par toute la filière : il y a effectivement une alerte rouge.

Vous le savez, j’ai déposé une proposition de loi à visée coercitive.

Son but : assurer la qualité et la pérennité des réseaux en fibre optique, et mieux protéger les consommateurs.

Déjà signée par plus du tiers des sénatrices et sénateurs, cette proposition devrait être prochainement discutée en séance publique ; j’émets le vœu que le gouvernement saura la défendre pour que son vote aboutisse rapidement tant la situation demeure dissonante !

Car le rôle de nos réseaux FttH est essentiel.

Ils vont prendre la relève définitive du réseau cuivre historique.

Ce n’est pas rien.

C’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce colloque TRIP d’automne que de traiter de la fermeture de ce réseau.

Mais pouvons-nous continuer d’avancer ainsi sans réaliser pleinement ce que ce changement implique ?

Où est le service universel de la fibre optique ?

Pourquoi le GC nécessaire au raccordement en fibre optique des locaux neufs n’est toujours pas aidé en zone d’initiative publique alors qu’historiquement, on a toujours accompagné d’une aide pour le raccordement en cuivre, que ce soit au travers du SU ou de la tarification péréquée ?

Comment va se jouer la péréquation entre zone publique et privée s’agissant du fonctionnement et de l’exploitation ?

Qui prend en charge les réinvestissements en zone publique maintenant que le Plan France THD et sa péréquation partielle sont derrière nous ?

Comment sécuriser la complétude des déploiements ?

Que deviendra le génie civil existant une fois le cuivre déposé ?

Le FttH va-t-il être réellement considéré comme un service essentiel ?

J’oublie de nombreuses questions, certainement, mais il est temps d’y répondre Car oui, c’est une belle partition que nous avons tous ensemble, commencé à jouer, mais c’est aussi une symphonie inachevée.

L’État, avec l’aide du Régulateur, des collectivités, des associations de consommateurs et de la filière doit redonner le LA.

Nous ne pouvons plus improviser en permanence, il nous faut définir une partition la plus complète possible.

Et si la puissance publique doit jouer de la baguette, et bien qu’elle le fasse !

L’œuvre symphonique est trop importante pour qu’on la laisse gâchée par des fausses notes, des désaccords ou des instruments mal accordés.

Il faut une nouvelle donne, une sorte de good deal fixe, de refondation, oserais-je dire... de renaissance ?

Mais cette exigence ne doit pas nous éloigner de notre sujet principal : lors de cette session, ce sont surtout les cuivres qui vont jouer, avec le décommissionnement du réseau téléphonique commuté d’Orange.

Et pour commencer, je redis une nouvelle fois que nous adhérons tous pleinement à la volonté d’Orange de fermer le cuivre.

Mais les collectivités soutiendront d’autant plus le plan de fermeture qu’elles y seront réellement associées.

C’est la première condition de réussite de ce grand chantier.

C’est pour cela que Régions de France, Départements de France, l’Association des Maires de France et l’Avicca ont soumis, le mois dernier, à la Première ministre Elisabeth Borne une proposition constructive de gouvernance locale et nationale.

L’objectif de cette proposition que nous portons collectivement est de garantir, en lien étroit avec les dispositifs nationaux d’accompagnement et de pilotage que le gouvernement décidera de mettre en place, les conditions d’une mobilisation collective, d’un dialogue étroit, d’une anticipation et d’un suivi régulier des opérations entre l’ensemble des parties prenantes, publiques et privées, de ce chantier décisif pour nos territoires et nos concitoyens.

Je sais, Monsieur le Ministre, que le gouvernement est d’ores et déjà en train de répondre à l’une de nos deux principales demandes, celle de l’organisation locale du suivi territorial de la fermeture du cuivre.

Je vous remercie très sincèrement, au nom des associations de collectivités, de cette première réponse rapide et de la concertation que vos équipes conduisent sous la houlette de
Zacharia Alahyane, que je salue ici tout particulièrement.

Mais il nous tarde d’avoir également une réponse quant à notre demande de mettre en place une structure nationale de communication et d’accompagnement des élus locaux et de la population.

Il me semble que cette demande est sensiblement identique chez Orange, mais aussi pour la plupart des autres acteurs, au premier rang desquels les opérateurs.

Je voudrais terminer ce discours par deux sujets d’actualité

Sur le Fair Share (partage équitable), la contribution des grands fournisseurs de contenus aux investissements nécessaires dans les réseaux pour absorber leur trafic toujours croissant, la restitution de l’interview de l’Avicca par la newsletter Politico peut laisser croire que l’Avicca y serait opposée.

Je veux ici rétablir une vérité car notre position ne doit pas être l’instrument de lobbying, et surtout pas de ceux qui sont opposés à une contribution aux investissements des grandes plateformes de l’internet.

L’Avicca s’est toujours exprimée en faveur d’une taxe sur la bande passante qui assujettirait le trafic des plus grandes plateformes.

Pas pour le principe d’une taxe pour une taxe, mais parce que cela s’inscrivait aussi plus largement dans la question de la fiscalité des plateformes de l’internet.

 Car soyons clairs sur le sujet : l’internet aujourd’hui, ce sont des milliards de sites et d’internautes, et il est fondamental que tous puissent accéder à toute l’information et tous les usages transitant par les réseaux sans discrimination d’accès aux contenus.

C’est le principe de la neutralité du net ; il est consacré en droit en Europe.

Un opérateur ne peut pas bloquer ou ralentir le trafic depuis ou vers une plateforme (sauf bien sûr pour les contenus illégaux).

C’est une excellente chose. Mais il y a un trou dans la raquette : dès lors qu’un opérateur ne peut pas discriminer les flux, il n’a plus aucun levier de négociation avec les grandes plateformes.

 Là où cela devient un problème, c’est quand sur les milliards de sites et d’internautes, cinq acteurs représentent jusque 80% de tout le trafic.

Chaque année, le trafic de ces acteurs croît à deux chiffres ; aujourd’hui, ce sont les collectivités territoriales, l’État et les opérateurs qui investissent pour absorber le trafic de cette poignée d’acteurs, pour le plus grand bénéfice de ces seuls acteurs qui en captent toute la valeur et sans même que le budget de l’État y retrouve ses petits.

 La taxe bande passante, ou taxe GAFAM, a fait long feu, soyons lucide.

Pour mieux faire contribuer FISCALEMENT les acteurs de l’Internet, la Commission européenne et les États membres travaillent maintenant sur l’option bien avancée d’une taxe sur les recettes générées dans le pays, dans l’internet ou pas.

Cette voie est exclusive d’une taxe GAFAM. Dont acte.

 Mais cela ne traite pas la question de la juste contribution aux investissements dans les réseaux THD qui reposent toujours sur les opérateurs et la collectivité, et toujours pour le plus grand profit d’une poignée d’acteurs.

A défaut d’une taxe GAFAM, l’Avicca ne peut donc que soutenir sans réserve l’instauration d’un mécanisme qui contraigne les plus grandes plateformes à s’asseoir à la table des négociations sur leur contribution aux investissements nécessaires pour absorber leur trafic.

Comme la réglementation sur la neutralité du net désarme complètement les opérateurs publics ou privés, en leur retirant tout levier sur la gestion de trafic, et c’est très bien ainsi, elle doit en revanche contraindre l’instauration de négociations et en édicter quelques lignes directrices.

 La première de ces lignes directrices, ce doit être d’assurer une parfaite symétrie entre tous les opérateurs, publics et privés.

Il est clair qu’un RIP n’a pas la puissance à lui seul d’un Orange.

En conséquence, nous demandons que soit prévue une option de gestion collective de la contribution, depuis la négociation jusqu’au paiement.

Cela semble exister dans de nombreux pays dans le cadre de la gestion des droits voisins de la presse, dans la procédure réglementaire de négociation entre la presse et les GAFAMs. 

 Sur le principe, l’Avicca demande qu’une option de gestion collective soit ouverte dans chaque pays de l’UE, et bien évidemment, elle souhaite que cette option soit mise en œuvre en France.

La société de gestion collective négocierait avec les grands fournisseurs de contenus ; elle redistribuerait ensuite entre TOUS LES OPERATEURS D’INFRASTRUCTURES, y compris donc au bénéfice des RIP.

 Et cerise sur le gâteau, les recettes de cette société de gestion collective seraient une base taxable qui pourrait alimenter des fonds d’aménagement numérique, par exemple.

Deuxième sujet, beaucoup plus grave : je ne puis m’empêcher de penser à l’enchaînement des cyberattaques contre nos collectivités et les équipements publics. Michel Audiard faisait dire à Lino Ventura, dans un film célèbre : « un barbu c’est un barbu. 3 barbus, c’est des barbouzes ». Il y a trop de similitudes, trop d’attaques en France comme à l’étranger de collectivités et d’équipements publics dont on sait bien qu’aucun ne paiera jamais de rançon, pour ne pas y voir une offensive généralisée et durable contre notre souveraineté et le bon fonctionnement de nos institutions. Il faut apporter une réponse nationale d’ampleur à ces attaques.

Car oui, pour reprendre une citation célèbre, nous sommes en guerre.

J’apporte tout mon soutien aux élus et équipes des collectivités et institutions publiques, ainsi qu’aux responsables d’entreprises et salariés victimes de ce conflit d’un nouveau genre.

J’arrête ici ce long discours pour laisser le pupitre au chef de l’orchestre national des télécommunications et du numérique, Jean-Noël Barrot, et malgré ces actualités loin d’être toujours douces à nos oreilles, je vous souhaite de passer ici, en excellente compagnie grâce à l’excellent public que vous êtes toutes et tous, un beau TRIP d’automne !