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Très haut débit : les historiques, les challengers et les collectivités Mars 2007

13 000 000 d'abonnés au haut débit, et une croissance qui se poursuit, voilà qui jette la base économique de la prochaine étape : basculer ce parc sur un réseau non plus aménagé tant bien que mal pour ces usages et leurs développements (adsl et câble) mais conçu pour eux.

Dans cette course à de nouvelles infrastructures, quatre acteurs privés sont aujourd'hui positionnés en France : deux « historiques » qui possèdent peu ou prou une infrastructure d'accès, France Télécom et Noos - Numericable, et les deux qui ont gagné la bataille des challengers du haut débit, Free et Neuf Cegetel.

Forces et faiblesses des propriétaires d'infrastructures

Les atouts de FT par rapport aux trois autres sont certains : capacité financière, connaissance et possession de fourreaux et bâtiments facilitant le déploiement sur des architectures de type PON, maîtrise de la construction de réseaux. Mais son handicap, c'est qu'il n'a aucun intérêt à détruire rapidement la valeur de son réseau cuivre. FT est donc fondé à réagir plutôt qu'à agir.

Noos - Numericable est tenu de réussir le passage au très haut débit, car le câble, avec ses réseaux disparates qu'il faut uniformiser, est menacé sur tous ses marchés. Le succès de l'adsl, avec 95 % de parts de marché, sur une infrastructure homogène, mutualisée par le dégroupage, est lourd de conséquence pour le câble, du fait du triple play. Le téléphone et la télévision sur IP se développent dans le sillage de l'internet, donc de l'adsl en France. Le câble a toujours la meilleure offre de télévision payante, mais la fusion TPS Canal Sat ne lui laisse pas de perspectives de ce côté ; la TNT gratuite menace aussi les abonnés aux services les plus basiques. Autre handicap de taille : une qualité de service dégradée fortement par la compression des coûts de maintenance et de service client. Comment vendre du très haut débit quand on a l'image de ne pas savoir faire fonctionner le « simple » téléphone ?

Mais l'atout principal du câble, c'est de pouvoir assurer à moindre coût une transition vers des débits élevés, en plus des accès simultané à une offre de télévision en haute définition. Pour cela, il faut investir chez l'abonné (nouveau coffret) et pousser la fibre jusqu'au dernier amplificateur, mais pas besoin de toucher au réseau dans les parties communes des immeubles. En résumé, un service sans doute limité par rapport à la fibre (en voie de retour notamment) mais correspondant aux besoins solvables, et qui peut se déployer beaucoup plus vite et pour beaucoup moins cher.

Mutualiser les réseaux internes contre le câble

Noos Numericable annonce 5 000 000 de prises ainsi rénovées fin 2008 - ce qui reste à prouver car le programme 2006 n'a pas été réalisé à 50%. Néanmoins, c'est suffisamment inquiétant pour susciter un accord entre FT, Neuf et Free afin de chercher le moyen de mutualiser le réseau fibre dans l'immeuble. Car pour le moment, de nombreux bailleurs et syndics s'interrogent pour savoir qui laisser entrer afin de laisser la liberté de choix aux habitants.

Cet intérêt collectif à la mutualisation est contrebalancé par la compétition : chacun veut engranger le plus d'immeubles possibles sur son réseau. D'un côté on proclame à ses équipes qu'il faut gagner la bataille des syndics à Paris, et de l'autre que son réseau est ouvert aux autres.

Deux challengers qui doivent se différencier

Neuf Cegetel et Free partent avec la même approche : là où il y a un parc d'abonnés important, avec un coût de construction faible, il suffit de basculer sur la fibre. Avec un tarif commercial identique, on ne paye plus rien à FT, on amortit son infra, on bascule instantanément les abonnés sans coût commerciaux, on les fidélise, on en conquiert de nouveaux grâce à une différenciation par rapport à l'adsl, et on augmente les revenus (Arpu) par des services optionnels nouveaux.

Ce plan magnifique sur le papier doit se traduire sur le terrain : construire effectivement pour pas cher, négocier avec les immeubles, maintenir un réseau etc. Pas forcément si facile et rapide qu'imaginé.

Quels sont les atouts respectifs de ces challengers ? Free a une petite longueur d'avance, des taux de pénétration élevés à Paris, un actionnaire qui peut pratiquement décider seul, donc vite. Neuf Cegetel possède un réseau de collecte important, une expérience de construction et maintenance, des actionnaires puissants, dont SFR qui évolue vers le quadruple play.

Un jeu à trois, quatre ou cinq ?

Même sur de grandes villes, il ne sera pas économiquement possible de faire vivre quatre réseaux. Plusieurs scénarios seront sans doute mixés : partage territorial, fusion d'acteurs, intervention publique locale...

Sur les villes de moyenne densité, où le coût de construction est élevé, le câble a toutes ses chances. A l'autre bout, sur Paris, la densité et les égouts visitables peuvent permettre des infrastructures multiples. Entre les deux, premier arrivé, premier servi sur un quartier !

La fusion d'acteurs concerne Neuf, Free et le câble (et bien évidemment tous les fonds d'investissements, Bouygues ou les opérateurs historiques étrangers capables d'acheter tel ou tel) ; France Télécom est exclu de ce jeu, à la fois par manque d'intérêt et par limitation en termes de droit de la concurrence. Le fonds d'investissement propriétaire du câble, Cinven, aurait manifesté son intérêt pour Free. On peut imaginer l'inverse : si Free ou Neuf mettent la main sur le câble, l'autre challenger est définitivement marginalisé. Tout est affaire de prix. La valeur du câble, côté résultat d'exploitation, peut se rétablir ou s'écrouler. Pour sa valeur côté infrastructures, il faut aussi regarder à long terme : France Télécom est resté propriétaire des fourreaux sur les réseaux du Plan câble, c'est à dire les plus grosses villes. Et les collectivités en possèdent l'essentiel de l'autre partie, en biens de retours de délégations de service public.

Enfin les collectivités ont leur mot à dire. Elles peuvent donner sous condition accès à leur parc social (garantie d'ouverture à tous les opérateurs). Elles peuvent investir dans un réseau mutualisé ou simplement dans du génie civil, voire même baisser les coûts en permettant du génie civil allégé. Elles peuvent reprendre le réseau câblé, et/ou ouvrir son infrastructure (nouvelle prescription de la loi sur la télévision du futur). Comme toujours, elles seront en tout cas attentives à deux impératifs : la couverture du territoire et la diversité de l'offre.

Le passage au très haut débit n'est pas une bataille technologique, mais un complexe jeu d'acteurs.