Numérique / Territoires

En route vers le Très haut débit ! Avril 2011

Discours de M. Yves Rome, Président de l'AVICCA

Colloque du 5 avril 2011

 

Chers élus, chers collaborateurs de nos collectivités, chers partenaires de nos actions,

Nous venons d’entendre comment les territoires envisagent cette mutation vers le très haut débit. Les modes d’actions peuvent, comme toujours, être différents, mais les principaux constats sont partagés. Oui, il s’agit d’un dossier essentiel d’aménagement. Non, nous ne pouvons pas tout faire d’un coup, il nous faut donc dessiner des priorités. La desserte des services publics et des entreprises vient en numéro un, et avec elles, la constitution d’un réseau de collecte, capillaire, qui servira également à la montée en débit et au très haut débit. Il s’agit là d’un prolongement des actions entreprises depuis de longues années sur les Réseaux d’initiative publique, qui vient justifier, s’il était encore besoin, les investissements que nous avons consenti. J’ai retenu aussi les interrogations persistantes sur le cadre, en particulier sur l’accompagnement financier national, indispensable pour ne pas laisser des pans entiers du territoire en déshérence. De très nombreuses collectivités établissent leurs Schémas directeurs, leurs stratégies de cohérence. Oui, elles veulent s’engager. Oui elles assument leurs responsabilités. Mais elles demandent à l’Etat d’assumer les siennes, et en particulier d’alimenter de manière pérenne et importante le Fonds d’Aménagement Numérique du Territoire, de faire sauter le plafond d’aide nationale de 33%, qui ne permet pas d’accompagner les territoires les plus difficiles, et de financer l’étape de montée en débit. Ce dernier point a fait l’objet d’une motion que nous avons adopté hier à l’issue de notre assemblée générale.

Nous avons fait un constat simple. La boucle locale cuivre est très rentable. L’activité des fournisseurs d’accès à internet est très rentable. Nous lisons les communiqués financiers qu’ils ont l’amabilité de nous envoyer. Les "free cash flow adsl" sont très conséquents. Tant mieux. Cependant aucun des opérateurs privés ne veut s’en servir pour améliorer les débits là où les lignes sont trop longues, et capter des abonnés. C’est regrettable. Nous ne pouvons pas les forcer. Cela ternirait peut-être ces beaux résultats. Alors allons-nous laisser cinq ans, dix ans, quinze ans cette situation se dégrader, je dis bien dégrader, car en parallèle les besoins des usagers augmentent ? Non. Allons-nous faire supporter cette charge entièrement aux territoires les moins denses, qui n’auront pas la fibre et qui seront obligés de financer seuls l’amélioration des réseaux qui ne leur appartiennent pas, et qui sont moins performant que la fibre, la double ou triple peine en quelque sorte ? Nous ne le voulons pas. Nous avons identifié plusieurs possibilités de financement national. Nous demandons au Parlement de se saisir de cette question.

Début février, France Télécom a communiqué sur sa vision de cette montée vers le très haut débit. Je la résume. Sur les agglomérations, je vais faire mon réseau en fibre. En corollaire, n’y allez pas, vous, collectivités. Et sur le reste du territoire, j’ai une très bonne solution, c’est la montée en débit. En corollaire, financez moi l’amélioration de mon réseau. Bref, laissez moi écrémer la partie rentable avec mon réseau FTTH, et payez moi l’amélioration de mon réseau cuivre ailleurs. Avec un tel programme, les actionnaires, dont l’Etat, pourront continuer à recevoir 9% de dividendes par action ! A l’annonce de ce plan, la bourse n’a pas frémi !

Nous avons noté aussi que France Télécom était "prêt à s’associer à des Réseaux d’initiative publique conçus en complémentarité". "Conçus en complémentarité" ! Un élu n’est pas subordonné à une entreprise privée, pour attendre de voir ce qu’elle veut faire, quand et où, afin de concevoir sont projet d’intérêt général ensuite. Un élu détient un mandat de l’ensemble d’une population, pour l’ensemble d’un territoire. Personnellement, je ne suis pas Président de la zone non rentable de l’Oise. Et si je peux utiliser un peu de rentabilité du réseau quelque part pour l’étendre autre part, j’essaierai de le faire. Je peux vous le dire : les collectivités lanceront des projets, et libre à France Telecom de répondre ou pas. Tant mieux si vous répondez, cela anime la concurrence, tant pis si vous ne répondez pas.

La table ronde de la fin de la matinée apportera en tout cas des témoignages de collectivités qui ne rejettent pas l’intervention privée, mais qui affirment que les objectifs publics doivent primer, et donc qui ne veulent pas subordonner leur action au rythme et aux intérêts particuliers d’un ou de plusieurs opérateurs. Les solutions ne sont pas simples, mais nous les trouverons. La dernière table ronde cette après midi présentera aussi les nouvelles opérations de déploiement, comme nous le faisons régulièrement.

Sur la fibre optique, nous avons la joie de constater que le dossier avance. La France est aujourd’hui dans les leaders mondiaux. Pas en termes de constructions de prises. Au rythme des 300.000 prises construites en 2010, il nous faudra un siècle pour couvrir le pays. Si j’en crois les prévisions, en 2014 plus de 18 pays offriront du très haut débit à la moitié au moins de leur population. Nous ne serons pas au quart. Mais nous sommes leader dans un domaine particulièrement pointu du FTTH. Quel pays au monde peut se vanter d’avoir une réglementation aussi avancée que la nôtre sur la concurrence par les infrastructures des immeubles de plus de douze logements dans les IRIS peu denses des communes de zones très denses ? Aucun. Et nous en avons aussi pour les plus de douze logements ! et oui !

Un petit regret tout de même, sur l’aspect réglementaire, et pas du côté de l’ARCEP. Depuis le 1er janvier 2010, le fibrage des immeubles neufs est obligatoire. Nous attendons un arrêté. Nos services ont sensibilisé les promoteurs des principales zones d’aménagement concerté. Nous sommes en avril 2011. Faut-il installer, une, deux ou quatre fibres ? Nous n’en savons rien. C’est dommage pour les milliers d’immeubles qui se construisent chaque année, qu’ils aient plus ou moins de douze logements.

Je suis un peu ironique, j’espère me faire pardonner. Les schémas directeurs nous demandent de raisonner globalement, et les volets A, B, C, les zones 1, 1bis, 2 etc saucissonnent nos territoires. L’ironie permet de dévoiler la situation, en y jetant un regard un peu acéré, et en espérant faire ainsi bouger nos décideurs nationaux. Vous êtes sans doute allé trop loin dans la fragmentation de la boucle locale, la sagesse commandera de revoir certaines choses pour des raisons techniques, opérationnelles, financières.

Dans un instant, Gabrielle Gauthey interviendra au nom de la Fédération des Industries Électriques, Électroniques et de Communications, dont elle est vice-présidente. Nous avons gardé de son passage à l’ARCEP le souvenir d’une implication constante et efficace pour rapprocher le monde de la régulation, des opérateurs, et des collectivités, afin de mieux aménager le territoire. Ce n’est pas au titre de la nostalgie que nous l’avons invitée, mais de la prospective, de la vision internationale, afin de contribuer à nos réflexions.

Car nous devons à la fois réfléchir et agir. Réfléchir à ce que pourrait être un autre cadre. Et agir dans celui-ci, aussi imparfait soit-il.

La table ronde du début d’après midi s’intitule : les mille et une conditions de la réussite. Il faut avoir des schémas et des stratégies globales. Mais il faut aussi les mettre en œuvre. Et cela passe par beaucoup d’actions, beaucoup de savoir-faire, et donc un certain nombre de moyens humains et techniques que doivent se donner les collectivités. L’aménagement numérique, ce sont des actions coordonnées, suivies, permanentes, et les outils qui vont avec, comme les systèmes d’information géographique.

A ce sujet, j’ai déjà eu l’occasion de déplorer le combat de retardement qu’on mené les opérateurs au sujet de la connaissance des infrastructures et des réseaux par les collectivités. En décembre 2010, le Ministre de l’Industrie a donné un avis favorable à un amendement parlementaire qui obligeait les opérateurs à fournir leurs données sous forme vectorielle et géolocalisée. La seule qui soit réellement utilisable pour concevoir et rationnaliser l’aménagement numérique. La loi a été remodifiée début 2011 et donne cette fois au Ministre de l’Industrie le pouvoir de fixer le format de données, par décret. Prenez le vite, ce décret, monsieur le Ministre. Prenez le bien, et ne reniez pas votre avis de décembre dernier. On ne peut pas gérer l’entretien et l’occupation de dizaines de millions de poteaux et des centaines de milliers de kilomètres de génie civil avec des plans papiers passés dans un scanner.

Un dernier mot, au sujet d’un projet "fibre de France", qui reviendrait à grouper les principaux opérateurs privés et qui resurgit dans l’actualité. Quelle dynamique cela produirait-il ? Ces opérateurs ont des intérêts stratégiques divergents, des choix d’architecture différents. Les obliger à se grouper pour construire des réseaux ne fait pas sens. S’ils ont la volonté de le faire spontanément, libre à eux, encore que nous n’ayons pas forcément envie d’avoir affaire à un monopole. Enfin, s’agissant d’une logique d’intérêts privés, cela ne répondrait pas aux problématiques des zones non rentables. Par contre, et l’AVICCA l’a déjà proposé, il serait utile de mettre en place un outil commun pour normaliser les systèmes d’information et les processus opérationnels, par exemple sous forme de GIE. Si les opérateurs ne sont même pas capables de faire cela, comment penser qu’ils vont investir des milliards en commun ? Commençons, on verra bien si cela débouche sur d’autres initiatives communes.

Merci à tous de votre présence, merci aux 14 collectivités qui témoignent tout au long de cette journée, et en route vers le Très haut débit !