Numérique / Territoires

Discours de Patrick CHAIZE, Président de l'AVICCA au colloque TRIP printemps 2016 Avril 2016

Monsieur le Ministre,

Mesdames, Messieurs les élu(e)s,

Vous tous qui travaillez à l’aménagement numérique du territoire dans les services des collectivités, de l’Etat, au sein des entreprises,

Il y a trente ans quelques élus se réunissaient dans un petit bureau pour jeter les bases de l’AVICA, un anniversaire que nous fêterons en novembre prochain.

Il y a trente ans l’État privatisait la première chaîne publique, reprise par un industriel bien connu.

Il y a trente ans, France Télécom construisait des « réseaux câblés », dont certains en fibre optique jusqu’à l’abonné,

On dit parfois que l’histoire bégaie. Je ne le crois pas. Elle n’est pas linéaire, elle est soumise aux aléas, mais elle est le fruit de notre action.

Dans trente ans, je l’espère, on dira que le grand réseau de communications électroniques de notre pays aura été construit, partout, grâce à des acteurs dont beaucoup se trouvent aujourd’hui dans cette salle.

Mais il ne suffit pas d’espérer qu’il en soit ainsi. Il faut en créer sans cesse les conditions. Les résistances sont nombreuses, car il s’agit d’un chantier d’aménagement du territoire. État et collectivités n’agissent pas contre le marché, mais en anticipation. Il faut chaque jour de nouvelles incitations, des aides, et éventuellement des contraintes.

Notre premier défi, c’est la venue rapide de tous les opérateurs sur tous les réseaux d’initiative publique. Un opérateur comme SFR ou Orange, qui ne vient que sur les réseaux qu’il exploite, c’est insupportable. Des opérateurs comme Bouygues et Free qui plaident pour que les RIP soient moins chers que dans les zones rentables, ça l’est aussi. Les collectivités ont accepté beaucoup de compromis pour travailler avec les opérateurs. Respecter les zones rentables qu’ils ont préemptées. Se calquer sur une architecture commune. S’aligner sur leurs tarifs. S’il faut encore progresser sur l’homogénéisation, pourquoi pas ? Mais pas pour donner un nouveau prétexte à retarder leur arrivée. Sans attendre, ils doivent co-investir ab initio sur les réseaux que nous finançons, pour servir leurs clients, qui sont nos administrés. Cette première journée de rencontre sera clôturée par Benoît Loutrel, qui a choisi comme titre très volontariste d’intervention : « accompagner les RIP jusqu’au succès commercial : le mandat de l’ARCEP »,  tout un programme donc.

Le deuxième sujet majeur, c’est le respect des intentions d’investissements que les opérateurs privés ont librement établies, dont la crédibilité a été reconnue par l’État, et qui gèlent l’intervention publique. L’avancement est inégal, Orange remplissant nettement mieux ses objectifs, mais avec des différences suivant les territoires. Au total, à mi-chemin du programme 2010-2020, nous en sommes au quart des prises pour la zone très dense et la zone AMII, qui n’est pas encore la zone conventionnée même si nous progressons,.

Par ailleurs, de très nombreux chantiers réglementaires sont ouverts, et nous savons que vous y travaillez, ainsi que le régulateur. J’y contribue également, en tant que rapporteur de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur le projet de loi République Numérique, qui se réunit d’ailleurs ce soir. Le projet comporte de nombreuses mesures positives, et le travail sénatorial l’enrichira. Parmi ces chantiers ouverts, nous attendons le feu vert de Bruxelles, et un feu vert sur le cahier des charges dans son entier, puisque c’est la voie qui a été choisie, afin de ne pas remettre en cause les projets patiemment élaborés par les collectivités. Il faut aussi, Monsieur le Ministre, faire changer la doctrine de la Direction générale des finances publiques, qui ne considère pas les droits d’usage irrévocables comme un investissement, à rebours de tout ce qui se pratique dans le secteur, et qui pénalise les budgets des collectivités. Autre sujet, une tarification générale du cuivre plus incitative, renforcée localement dans un statut de zone fibrée qui doit déboucher vite. Il faut des règles de complétude plus proportionnées, et des fréquences pour la couverture transitoire du territoire doivent être dégagées. Il faut une architecture de réseaux FTTH stabilisée et sans surcoûts pour desservir les petites et moyennes entreprises.

À ce propos, vous aurez noté, Monsieur le Ministre, que le programme de ce colloque tourne beaucoup autour des besoins professionnels, pour les services publics et les entreprises, sujet qui sera présent dans trois de nos tables rondes. Je voudrais en profiter pour adresser un petit message à certains auditeurs des chambres régionales des comptes, qui critiquent parfois les résultats des RIP de première génération. Lisez le rapport de l’Autorité de la concurrence sur les pratiques de l’opérateur dominant depuis dix ans sur le marché professionnel, publié en décembre dernier. Lisez le détail de ses diverses méthodes. Trois cent cinquante millions d’euros d’amendes, un record. Mais sur un marché annuel de douze milliards, est-ce dissuasif ? Oui, il nous est difficile d’agir ; oui, il nous est nécessaire d’agir. La compétitivité du tissu économique, l’innovation des services publics grâce au numérique ont toujours été des objectifs majeurs des réseaux d’initiative publique.

Le programme de ce colloque comporte également un volet important sur le numérique éducatif. Il faut déployer des réseaux dans les rues, mais aussi dans les bâtiments, les gérer, et équiper les élèves. Il s’agit d’un enjeu politique et financier considérable, pour que le numérique puisse être pleinement utilisé au quotidien. À ce sujet, si les dotations de l’État sur l’équipement des élèves s’approchent bien de la parité financière avec les collectivités, rien n’a été prévu pour aider à l’indispensable mise à niveau des réseaux, aux niveaux technique et informatique, un sujet qu’il faudra bien regarder, sous peine de laisser se créer des inégalités entre collectivités, donc entre élèves.

Pour conclure, un mot également sur le mobile. Nous nous réjouissons que la question de la couverture soit redevenue une priorité du gouvernement et de l’ARCEP. Depuis 2003 les plans se succèdent sur les zones blanches, qui concernent environ 1% de la population, et nous n’avons pas fini ; les collectivités, avec l’État, y prennent part. Mais le développement des usages mobiles a rendu le problème bien plus vaste, et il relève avant tout de l’investissement des opérateurs. Il faut créer les bonnes incitations à travailler sur la qualité de la couverture, et là aussi des mesures sont proposées dans le projet de loi République Numérique.

Enfin, Monsieur le Ministre, il y aura bien un big bang dans les télécoms, au bénéfice et de l’investissement, et des consommateurs : sur 85% du territoire va se déployer un réseau en fibre optique jusqu’à l’usager, à l’initiative des collectivités, avec l’aide de l’État. Le chantier est multiple, considérable, évolutif. Élus et services des collectivités sont mobilisés, et c’est ensemble que nous allons le réussir.